Commencée en avril 1983 à Rome, cette musique pour 12 instruments fut achevée en février 1984 à Paris. La partition était finie lorsque je trouvai son titre dans un petit texte de Samuel Beckett intitulé Bing, et qui se termine ainsi : « …bing silence hop achevé ».
Puisqu'il fut trouvé a posteriori, je n'ai donc pas à m'expliquer sur une quelconque intention entre ce Hop' et ma musique. Si je n'ignore pas que l'usage des mots n'est jamais innocent, comment parler de sa musique avec les bons mots ? Comment rendre compte de la longue et incertaine expérience qu'est la composition musicale ? Comment rendre compte de son plaisir aussi ? Qui dira ce qu'est une œuvre ?
Pascal Dusapin
P.S. : Hop' est peut-être dédiée à Varèse
« Certains composent parce que cela leur plaît ; ce qui peut les conduire aux attitudes les plus nostalgiques et réactionnaires. Ce sont des élaborateurs. Les créateurs, eux, enjambent cet opportunisme — mais sont extrêmement rares. Pour ceux-ci, la seule réponse possible est : composer. Parce que composer est le lieu de l'expérience. Voilà qui m'amène à m'interroger perpétuellement sur mon interrogation, sur la fragilité de cette interrogation. » (Pascal Dusapin)
Hop' tire donc son titre de Bing (1966), texte de Samuel Beckett publié dans Têtes-Mortes. Où le mot métamorphose la phrase dans laquelle il s'inscrit, du « Corps nu blanc fixe hop fixe ailleurs » au « …bing silence hop achevé » qui conclut l'œuvre du poète et que le compositeur inscrit à la fin de la partition, apposé au néo-platonisme de Plotin : « L'objet visible est tel que la vision, et la vision telle que son objet. Mais qui dira ce qu'il est ? »
Après Lumen (1977), sur un texte de Lucrèce, après Timée (1978), en référence au dialogue de Platon, Hop' renoue donc avec les philosophes de l'Antiquité. L'impossible dire de la musique, sur la musique, sur l'expérience de la composition, trouve dans la métaphore du silence et dans le questionnement philosophique du voir, l'expression d'une contrainte entre le titre, trouvé a posteriori, et le matériau musical.
L'ensemble, divisé en quatre groupes de trois instrumentistes (1 : alto, flûte, basson. 2 : violon, clarinette basse, cor. 3 : hautbois, trompette, violoncelle. 4 : cor, clarinette, contrebasse), abandonne toute idée de développement, de processus. Les fulgurances, les éclats, l'urgence, les rythmes haletants, brutaux et rapides des registres graves s'inscrivent dans le concept de rhizome, dans une mobilité d'un seul mouvement, dans l'élément aqueux : « Chez moi comment la ramènerai-je cette eau limpide », écrit Buson, que cite Dusapin au cours de la partition.
L'acuité de la notation — « les indications d'intensités et leurs profils doivent être scrupuleusement respectés ainsi que l'intonation des micro-intervalles », ou encore « les cordes jouent avec une grande précision de rythme et de contraste » — transcrit dès lors la rigidité de la connexité et l'anguleux de temps raccourcis.
Laurent Feneyrou, notice du concert Ensemble intercontemporain/Groupe Vocal de France, 10 janvier 1994.