Cette œuvre fut écrite à l'intention du Quintette Arnold, qui la créa peu après. Elle témoigne de la fantaisie expressive de Donatoni à partir d'un travail très rigoureux sur des cellules musicales caractéristiques. « Comme d'habitude, nous dit le compositeur, l'œuvre prend pour point de départ un fragment déjà existant (dans ce cas, il s'agit d'un passage de Françoise Variations pour piano). Il est continuellement travaillé et retravaillé de façon conséquente, et transformé afin de s'adapter à la nature gestuelle de chaque instrument et à la combinatoire, ou sous-combinatoire que le groupe suggère ». L'indication de la « nature gestuelle » des instruments nous oriente vers la théâtralité du discours musical. Donatoni, en effet, construit la pièce sur un ensemble de relations changeantes entre les membres du quintette, et le plus souvent, sur une confrontation entre un soliste et le reste du groupe. Ces passages solistiques visent l'extrême de la technique instrumentale, comme une suite de sauts périlleux que les autres protagonistes accompagneraient et observeraient de façon plus ou moins amusée, plus ou moins contraignante. Dès le début, l'atmosphère à la fois ludique et tendue s'installe, par le jeu de quasi-échos entre la flûte, le hautbois, la clarinette et le basson d'une part (ils jouent des accords brefs, puis tenus) et le cor, qui tout au long de l'œuvre semble adopter un rôle à part. Un commentateur en a parlé comme d'un arbitre des différentes situations ; mais lorsqu'il joue avec un timbre cuivré, il entraîne tout l'ensemble à sa suite. Les groupes de notes rapides qui petit à petit émergent des accords tenus conduisent à un solo de flûte très volubile, sans cesse ponctué par l'ensemble (une constante de l'écriture de la pièce, comme si le soliste était tenu par les autres instruments) ; puis c'est le hautbois qui joue des morceaux de gammes descendantes le plus vite possible ; ensuite, la clarinette parcourt à toute allure ses différents registres, au-dessus des interventions narquoises des autres instruments ; puis c'est au tour du basson de faire quelques pirouettes, sous la forme de figures descendantes rapides. Suit alors un véritable « chorus », où tout le groupe joue ensemble des phrases brèves et inégales, dans une nuance réservée. Mais cette courte unanimité se disloque à nouveau, et c'est cette fois le cor qui affronte la petite communauté. Le jeu concertant reprend, impliquant parfois deux ou trois solistes, dans une invention constamment renouvelée, à la fois tendre et drôle, furieuse et passionnée. Si la forme du quatuor à cordes a, dans une longue tradition, installé le principe d'un dialogue entre les protagonistes, Donatoni a sans doute écrit le premier quintette à vent où une telle rhétorique s'installe, dans une forme qui accumule les péripéties tout en restant attachée à un matériau de base constamment transformé. On peut aussi songer à une influence latente du jazz, avec ses alternances de solos et de tutti, son écriture rythmique et ses accentuations, une sorte de reconstruction du « swing ».
Philippe Albèra, Contrechamps 2002, extrait d’Hommage à Franco Donatoni, 22 janvier 2002.