Amers : le titre est celui d'un recueil de Saint-John Perse, évoquant ces points de repère jalonnant la côte pour les navigateurs. L'une des premières idées à l'origine d'Amers était en effet la vision d'un violoncelle soliste « comme un marin naviguant dans la mer des sons », dont la traversée, balisée de passages obligés par certains états de la matière sonore, serait empêchée par la nature qui l'entoure.
Amers est, dans une certaine mesure, un concerto, bien que le compositeur ait voulu écarter le principe d'un face-à-face duel propre à ce genre ; l'œuvre s'organise davantage en trois plans, chacun ayant une certaine indépendance : le violoncelle soliste, l'ensemble instrumental et les sons de synthèse gérés par l'ordinateur.
Kaija Saariaho a observé, avec l'aide des moyens informatiques d'analyse, la structure interne de certains sons de violoncelle, qui ont ensuite servi de points de départ au travail compositionnel. Ainsi, la section finale est une orchestration du son diffusé simultanément par les sources électroniques – un son qui est lui-même une élaboration du trille du violoncelle sur lequel s'ouvre la pièce. La synthèse sonore, dans Amers, est en effet réalisée avec des modèles de résonance conçus à partir de ce son initial, complétés par d'autres modèles inspirés des cloches et des percussions.
L'écriture harmonique et rythmique d'Amers reste fondée sur les principes de fusion, de fission et d'interpolation. Mais si les sources électroniques se voient confier des interpolations rythmiques strictes et complexes, celles-ci apparaissent sous une forme beaucoup plus libre dans les parties instrumentales. Et le compositeur se livre également à un véritable travail mélodique : l'enchevêtrement des textures se resserre çà et là dans la clarté de l'unisson, où des motifs émergent peu à peu pour se disperser ensuite à nouveau.
Amers s'organise en deux parties : les interpolations graduelles prédominent dans la première, les ruptures dans la seconde. Confronté à l'ensemble instrumental et à la partition électronique, le violoncelle – seul instrument à cordes dans l'effectif de la pièce – voit ses trajectoires gauchies, sa sonorité brisée. Et l'augmentation de la pression de l'archet n'est plus seulement, comme dans Io, un mode de jeu permettant d'obtenir des sons « bruités » ; elle semble parfois résulter de l'effort, de la lutte pour affirmer la présence musicale du violoncelle, comme en témoignent les indications du compositeur : « furioso, con ultima violenza ». Le discours d'Amers est plus volontiers dramatique que celui de certaines œuvres précédentes. Plus contrasté aussi, entre ces interventions « désespérées » ou « féroces » de l'ensemble, et les dernières mesures de l'œuvre qui se fondent « dans l'immobilité et le silence ».
Peter Szendy.