Almost Requiem prend sa source première dans la disparition prématurée du jeune compositeur français Christophe Bertrand, ses circonstances et ses implications. « Étudiant dans la classe d’Ivan Fedele au conservatoire de Strasbourg à l’époque, je ne le connaissais que de loin, dit Marco Momi, mais c’était à l’époque l’enfant prodige de la scène musicale strasbourgeoise, et son décès a profondément touché tout ce petit microcosme. » Si le compositeur italien apprécie la musique de Christophe Bertrand, Almost Requiem ne prend nullement la forme d’un hommage. La pièce ne lui est pas dédicacée et ce n’est pas non plus un tombeau in memoriam. Marco Momi tente toutefois d’évoquer ici cette atmosphère si particulière qui a plombé le ciel strasbourgeois après l’événement, et toute une myriade de sentiments que cet événement a pu éveiller chez lui : « J’ai eu besoin de témoigner de cette situation, qui prend, dans le cas d’un compositeur, un sens tout particulier. Lorsqu’un compositeur (ou tout autre artiste) disparaît, son absence est ambiguë, puisqu’elle jette une lumière soudaine sur la trace qu’il laisse derrière. Son métier ayant pour objet de nous laisser cette trace qu’est l’œuvre, l’absence du compositeur n’en est pas réellement une, mais bien plutôt une présence/absence. »
Le livret, que l’on doit à Filippo Farinelli, avec lequel Marco Momi a l’habitude de collaborer, n’a pas de rapport avec le texte liturgique du Requiem. Seul un vers de la dernière strophe flirte avec le latin, rompant avec l’anaphore « Qui » qui ponctue le reste du poème, à la manière d’une formule rituelle. « Nous avons cherché à restituer l’impression fugitive d’un souvenir qui a été et reparaît soudain, ce souvenir inconscient de l’absence qui va venir. Ces bribes de souvenirs constituent la trame, sur laquelle on pose un discours quasi narratif – comme un parcours au cœur de la mémoire. » Si Almost Requiem a été composée en 2013, sa genèse remonte à 2010, et fait de la partition la première du cycle des Almost, qui compte déjà quatre opus (Almost Quiver for E.P. pour ensemble, Almost pure for E.P. pour quatuor à cordes, Almost vanishing for E.P. pour flûte, et Almost Requiem). « Ce cycle vient après celui des Iconica, dit Marco Momi. Dans les Iconica, je cherchais à contrôler au plus juste le détail – jusqu’à l’excès parfois, avec une focalisation absolue sur le son. Cela m’a conduit à repenser les limites de mon univers compositionnel, pour définir ce que serait l’après Iconica. Dans la série des Almost, je m’attache à réduire le détail, en évitant toute sophistication excessive du son, et à travailler sur les transitions. La boîte à outils est donc un peu moins recherchée – et même moins « contemporaine », pourrait-on dire – que dans les Iconica, tout en aspirant à un autre contexte sonore pour le discours musical. C’est là, peut-être, que peut se glisser cette narrativité imprévisible de la toile de souvenirs et de sensations qui composent Almost Requiem. »
Jérémie Szpirglas.