Composée de septembre 2010 à août 2011 cette œuvre est une commande du Nouvel Ensemble Moderne de Montréal. Elle a été crée à Montréal par cet ensemble sous la direction de Lorraine Vaillancourt le 12 octobre 2011.
Lorsque j’ai commencé à travailler sur cette pièce, je pensais explorer musicalement la notion d’élasticité. Puis il se trouve que mon frère est mort en septembre 2011 et il ne m’a pas été possible de composer une musique qui puisse parler d’autre chose que de mort et de vie.
Cette œuvre évoque donc, par une pulsation lente maintes fois répétée, une marche. Cette marche sonore, parfois indécise, cette itinérance, représente le chemin que nous suivons, mais aussi celle des forçats, des gladiateurs, de ceux qui savent qu’ils vont mourir – Morituri te salutant. Cette marche est aussi une respiration, celle qui nous accompagne tous les jours de notre vie et qui bascule un jour dans une entropie désespérante, mais également vers une éternité temporelle sans limites ni fin.
L’harmonie présente dans l’œuvre provient de deux sources. La première est celle d’une analyse spectrale d’un type de cloche très présente au Québec, notamment à Trois-Rivières, Rimouski et Québec : la cloche Mears. La seconde provient aussi d’une analyse, mais cette fois de sons de synthèse par modulation de fréquence. L’idée n’est pas de générer des accords par modulation de fréquence, mais d’analyser des sons complexes ayant été obtenus par ce même procédé. La différence peut sembler subtile, mais c’est la même, j’y travaille aussi actuellement, qui consiste à différencier un accord de quatre sons des résultats de l’analyse de ce même accord chanté par quatre voix. Dans ce dernier cas, les harmoniques générés par les voix interfèrent, de façon à créer un son plus complexe et vivant. Une dialectique harmonique s’établit ainsi, tout au long de la pièce, entre l’harmonie naturelle de la cloche et celle plus sophistiquée de la modulation de fréquence. Vers la fin, la cloche elle-même est modulée, établissant ainsi une continuité possible entre les deux univers harmoniques.
L’œuvre est parcourue de solos souvent avortés, qui disent l’impossibilité pour l’homme de franchir seul victorieusement les portes de la mort. Ces solos conduisent à la saturation des espaces harmoniques et timbrals qui expriment la colère et la violence de la rébellion devant la mort, celle de l’autre mais aussi la nôtre. Ces moments de grande densité fréquentielle et d’excès de timbre, dans la multiplicité des solos, évoquent une vision de la mort en tant qu’explosion des limites, mais également l’aspect parfois désordonné de la vie et sa violence dans son extériorisation comme quelquefois dans sa dureté.
La forme de l’œuvre est une tresse à deux brins : l’un plutôt de type monodique et l’autre plus polyphonique, qui s’enchevêtrent et sont traversés par la marche pulsée mentionnée plus haut en une sorte de brochette formelle. Si le brin monodique domine au début de l’œuvre, c’est la polyphonie qui prend peu à peu le dessus afin de suggérer la densité et la saturation vitale que met en œuvre l’être qui ne souhaite pas mourir.
Outre à mon frère Jean-Claude, cette œuvre est dédiée à Lorraine Vaillancourt et aux musiciens de l’ensemble Moderne de Montréal.
Philippe Leroux.