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N o t e d e p r o g r a m m e
Quand un compositeur de culture extra-européenne se consacre à la musique de tradition écrite occidentale, la question du rapport à l’héritage culturel et musical de son pays d’origine
est non seulement inévitable, mais toujours délicate.
La réponse qu’y apporte Alireza Farhang est, de son propre aveu, fluctuante et ambivalente : sa relation à la musique iranienne – dans laquelle il a baigné toute sa jeunesse, notamment grâce à son père, flûtiste émérite – est à la fois passionnée et houleuse. Si elle fait indéniablement partie de son identité culturelle, il fut un temps où il luttait à toute force contre toute résurgence de cette musique au sein de son langage – il la chassait de sa pensée jusque dans ses aspirations les plus inconscientes. Aujourd’hui, s’il regrette qu’on cherche trop souvent quelque exotisme dans ses oeuvres – ou qu’on l’encourage à puiser dans ses origines quelque inspiration, attitude que Fahrang considère réductrice et banale –, il a cessé de fuir la référence. La longue période de refoulement qui a précédé cette acceptation a toutefois été selon lui nécessaire pour pouvoir développer un rapport plus sain avec cette partie de lui-même : avec le recul, la référence devient un outil parmi d’autres.
Tak-Sîm, quatuor avec électronique, vient illustrer ces nouveaux rapports apaisés, tout en faisant figure d’exception : la musique iranienne fait en effet partie intégrante du projet
musical. « L’idée m’est venue à l’automne 2009 au cours d’un séminaire à l’Université Columbia, se souvient Alireza Farhang. Un jeune compositeur turc installé à New York nous a proposé l’écoute d’une musique traditionnelle turque, sur un instrument seul. À la fin, il a demandé au public d’identifier l’instrument en question. De l’avis général, il ne pouvait s’agir que d’un instrument traditionnel turc. Certains se justifiaient, parfois de manière très savante, parlant de timbre, d’intonation… Personne n’avait deviné que c’était en réalité un violoncelle. Je me suis ainsi rendu compte à quel point la façon de jouer, l’intonation, les intervalles, les articulations, les différentes manières de tenir une note peuvent changer le caractère d’un instrument, son image sonore comme son identité. »
Ainsi est née Tak-Sîm, qui grime un quatuor à cordes en instrument iranien – et plus spécifiquement le sêtar de Ahmad Ebâdi –, en reproduisant ses modes de jeu et les idiotismes spécifiques à la musique iranienne. Du reste tak-sîm est un mode de jeu de la musique persane qu’Ahmad Ebâdi a largement contribué à développer. Littéralement, le terme peut se traduire par « uni-corde ». Au surplus, taksîm, sans trait d’union, est le système modal sur lequel la musique turque s’est élaborée.
Pour Alireza Fahrang, ce projet est un défi technique à l’écriture : plus qu’une contrainte, un propos. Pour transmettre dans un contexte musical occidental – et avec le quatuor à cordes, qui en est un effectif emblématique – l’intonation si particulière de la musique perse, le principal défi d’écriture réside dans la conduite du son et les ornementations, qui laissent tant de place à l’improvisation. L’improvisation musicale est en effet avant tout une question de culture, avec son histoire et ses codes. Son appropriation par un quatuor à cordes comme le Kronos Quartet est donc d’autant plus malaisée que les musiciens de l’ensemble n’ont ni l’expérience nécessaire de cette tradition musicale, ni le temps de s’y plonger – ce qui exigerait des années d’études. Si l’écoute et l’imitation ont ainsi joué un très grand rôle dans le travail avec les musiciens, le besoin d’une notation graphique nouvelle s’est très vite fait sentir.
Enfin, le recours à l’électronique, qui interagit avec le son du quatuor, s’est lui aussi révélé comme un adjuvant naturel au résultat recherché. Cet effort constant d’imitation pour élaborer le matériau de la pièce a naturellement conduit le compositeur à un travail approfondi de déconstruction du langage de la musique persane – et de là, paradoxalement, à remettre en question une fois encore son identité culturelle. Et ce n’est qu’en déconstruisant, puis décomposant, voire défigurant le modèle, jusque dans son geste le plus élémentaire et le plus inné, qu’Alireza Fahrang est parvenu à s’extraire des postulats – ceux de la tradition musicale iranienne, de la musique occidentale ou de la musique électroacoustique – pour s’exprimer enfin dans son langage propre. (Jérémie Szpirglas).
B i o g r a p h i e s
Alireza Farhang -
Né dans une famille musicienne à Kermân, Alireza Farhang prend ses premières leçons de musique aux côtés de son père. Il étudie ensuite le piano auprès d’Emmanuel Melikaslanian et de Raphaël Minaskanian et la composition à l’université de Téhéran avec Alireza Machayeki. À la suite de ses études, il enseigne lui-même à l’université de Téhéran et fonde sa propre école de musique.
C’est en 2002 qu’il choisit d’approfondir ses connaissances auprès de Michel Merlet à l’École normale de musique de Paris. Bénéficiant de la Bourse Albert Roussel, il obtient ses diplômes supérieurs en composition et en orchestration. Il suit également les cours de composition d’Ivan Fedele au conservatoire de Strasbourg. Il a en outre l’occasion de travailler avec Toshio Hosokawa, Michael Jarrell, Hanspeter Kyburz, Brice Pauset, Yan Maresz, Tristan Murail, Olga Neuwirth et Gérard Pesson. Il participe au Cursus de composition et informatique musicale de l’Ircam dans le cadre de l’ECMCT (European Course for Musical Composition and Technologies) en partenariat avec la Technische Universität, l’Universität der Künst et la Hochschule für Musik Hanns Eisler à Berlin.
Par ailleurs, il rédige une thèse de musicologie à l’université de Paris IV-Sorbonne sous la direction de Marc Battier portant sur « la codétermination du timbre et de la mélodie chez les compositeurs iraniens ». Sa double formation en musique occidentale et persane le mène à conjuguer ces deux univers dans ses compositions.
Benoît Meudic - Né en 1975, Benoît Meudic est compositeur de musique électronique et réalisateur en informatique musicale. Il travaille aujourd’hui à l’Ircam. Après l’obtention d’un diplôme d’ingénieur en 1999, il y travaille comme chercheur, puis soutient une thèse en 2004. Dans le même temps, il étudie le piano avec Alain Neveu et suit des cours d’écriture avec Jean-Michel Bardez. Depuis 2005, il travaille avec les compositeurs de l’Ircam en tant que réalisateur en informatique musicale. Il a collaboré avec Alexandros Markeas, Yan Maresz, Georgia Spiropoulos, Unsuk Chin, Luca Francesconi, Jérôme Combier, Michaël Levinas, Bruno Mantovani, et a interprété leurs pièces en France et à l’étranger. En parallèle de son travail à l’Ircam, il compose des musiques électroniques au sein du duo Hierophantes qu’il a fondé en 2008 avec le plasticien Yulhe. Leurs installations et performances sont montrées lors de festivals ou expositions en France et à l’étranger.
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