György Kurtág (1926)

Stsenï iz romana (1979 -1982)

quinze poèmes de Rimma Dalos, pour soprano, violon, contrebasse et cymbalum
[Scènes d'un roman]

  • Informations générales
    • Date de composition : 1979 - 1982
    • Durée : 19 mn
    • Éditeur : Editio Musica, Budapest, nº Z. 12661
    • Opus : 19
    • Dédicace : à Adrienne Csengery
    • Livret (détail, auteur) :

      quinze poèmes de Rimma Dalos (en russe)

Effectif détaillé
  • soprano solo, violon, contrebasse, cymbalum

Information sur la création

  • Date : 1 octobre 1983
    Lieu :

    Hongrie, Budapest, Contemporary Music Week,


    Interprètes :

    Adrienne Csengery : soprano, András Keller : violon, Ferenc Csontos : contrebasse, Márta Fábián : cymbalum.

Titres des parties

  1. Viens
  2. De la rencontre à la séparation
  3. Prière
  4. Laisse-moi
  5. Comptine
  6. Rêve
  7. Rondo
  8. Nudité
  9. Valse pour orgue de Barbarie
  10. Conte
  11. De nouveau
  12. La série infinie des dimanches
  13. Visite
  14. Histoire vraie
  15. Epilogue

Note de programme

Les quinze poèmes de Rimma Dalos. Les quinze chants de György Kurtág. Le romantisme d'une oscillation entre fragments, autre modèle de l'œuvre, et miniatures, expression de la densité d'une crise existentielle. Entre un genre et un état. Entre une forme et un destin.

Le fragment et son relatif inachèvement, l'œuvre et son drame conçus d'emblée comme ruine, l'absence d'un développement discursif évident, l'authentique compréhension d'une vérité qui ne s'offre que dans la perception, la contemplation, le pressentiment des détails d'un contenu matériel. Et si la musique ne répondait pas aux questions, aux attentes des poèmes de Rimma Dalos, de l'être brisé entre un passé révolu et un incertain, improbable futur convoité. Et si la concentration du geste, si l'intensité du son raréfié, si la miniature inscrite dans l'aura nostalgique du verbe, si la beauté, le mythe du lointain, lointain dans sa proximité même, n'étaient que cette négation intraduisible de l'être. Et si la musique, née du néant, du rien, du vide, si la trace, le dit, l'aphorisme de la musique aussitôt tus préservaient le non-dit des poèmes. La miniature ne serait-elle alors que la résultante de ce qui n'est pas, de l'inutile effacé, de la frivolité abolie, de l'imminence d'un avoir-été soustrait, mais qui ne peut mourir, (dis)paraître ? Négative, la forme, réalité intangible de l'existence qui dévoile ainsi son impuissance, est toujours vers le concret, vers l'absence, vers la souffrance du texte écouté, « effleuré », « pénétré ».

L'impuissance du verbe au moment même où tout n'est que verbe, narration, l'impuissance du son, au moment même où tout n'est que vibration, jeu de sons. Entre le mot, le son et le texte, donc : la désespérance des intervalles, de la quinte initiale, Viens – le cri, le réveil, la rupture de Rêve – le temps suspendu, le statisme conclusif des instruments, Rondo – la solitude du chant soliste, Nudité – la vertigineuse angoisse, le timbre « déconstruit », « désintégré », la mécanique désincarnée et irrégulière de la Valse pour un orgue de barbarie –l'irréductible possible d'un chromatisme sans fin, De nouveau – enfin, disperato, desolato, indiquent successivement les deux derniers poèmes.

L'idée, la mémoire de l'idée, l'intuition de la mémoire résonnent dans la vie de l'être, dans l'hommage, dans l'histoire, résonnent humainement : la valeur symbolique de l'hommage à Kalmár László, Prière, de l'hommage à Mahler, Comptine, et de l'hommage à Alfred Schnittke, Valse pour orgue de barbarie, brise la frivolité du discours et provoque le don de l'œuvre, du désespoir en oeuvre, et du paradoxe ici métaphysique du rapport entre homme tragique et existence historique.

Laurent Feneyrou, entretien avec Rimma Dalos

Par quoi un compositeur est-il guidé dans le choix d'un texte poétique ?
Les spécialistes spécifient toujours avec certitude si ce choix est conscient ou inconscient, s'il répond à l'esprit et aux modes du moment, s'il exprime l'orientation idéologique qui règne dans la société de l'époque durant laquelle ce compositeur vit et crée. On comprend très bien que Piotr Ilitch Tchaïkovsky n'ait pu se passer d'Alexandre Pouchkine, sans détourner pour autant son attention des poètes en vogue à son époque, Polonski et Alexeï Tolstoï. Schubert et Schumann auraient-ils pu, eux, se dispenser de Goethe, de Heine ou de Schiller ? Sans parler du rôle de la tradition. Il est difficile de trouver ne serait-ce qu'un compositeur contemporain hongrois qui ne se soit par référé dans son œuvre à la poésie d'Attila Jószef.

Vient ensuite le problème de la langue. Il ne se pose pas quand le compositeur se tourne vers les écrits d'un poète de son propre pays. Tout se met alors bien en place : la sonorité comme la prosodie. Il en va autrement lorsque le compositeur prend pour base l'œuvre d'un poète écrivant dans une langue étrangère. Je ne pense pas que la démarche de Serge Prokofiev ou de Dimitri Chostakovitch, qui se servaient de traductions pour leurs œuvres vocales, puisse contenter les connaisseurs. Les vers de Rilke, Apollinaire ou Byron y sonnent bizarrement.

Dans notre cas, ce problème a été évité : la musique est basée sur des textes originaux en langue russe. Pour en arriver là, il a fallu la volonté et la fermeté de György Kurtág, qui a su apprendre le russe, et cela non pas de façon simplement scolaire, mais en pénétrant également ses zones « transverbales », en faisant résonner le mot russe — fort heureusement sans accent hongrois.

Qu'a donc, dans ce cas précis, attiré le compositeur ? Avant toute chose, un simple intérêt, un intérêt envers moi, ma personnalité, mon destin, ma mentalité et mes réactions vis-à-vis du monde ambiant, mes efforts pour me trouver une place dans la réalité hongroise, qui tranche tellement avec l'ordre à la russe que j'avais connu — l'« altérité » qui attire si souvent l'attention de Kurtág. Je rappelle que ses cycles vocaux sont écrits sur des poésies et des textes d'auteurs se tenant tous à part autant dans la littérature hongroise que mondiale : Bornemisza et Pilinski, Attila Jószef et Franz Kafka. Parmi les œuvres de ces géants de la littérature, il restait une place pour mes propres vers qui relient en quelque sorte par de petits fils tout fins les révélations apportées par ces grands auteurs.

Toujours, Kurtág choisit ce qui est minimaliste et romantique. La poétique des petites formes, le caractère aphoristique, l'apesanteur et en même temps un grand poids. Dire sans tout dire, effleurer mais ne pas rompre, pénétrer mais ne pas trahir. Chaque ligne est un jeu — un jeu qui ne s'achève pas. Chaque ligne est un soupir. Et dans ce soupir, il y a la vie. Et le romantisme. Pas un romantisme fier, élevé, mais le romantisme du lointain, de l'inaccessible. Le romantisme qui vient et qui repart, qui emporte et ne satisfait jamais. Le romantisme de Don Juan.

Le hasard. Par hasard, nous nous sommes rencontrés, mais ce n'est pas par hasard que j'ai écrit mes vers et que la musique a été créée. Chacun de nous, à sa façon, réagissait à son temps et il se trouve que nos réactions ont coïncidé. Les miennes sont des réactions de femme, faibles, légèrement poudrées d'un pollen romantique. Celles de Kurtág sont viriles, franches ; en elles sont menées jusqu'à leur terme logique les pensées et les émotions qui ne font que percer dans mes vers, telles de faibles pousses.

Nous ne travaillons pas ensemble. Pour moi, c'est peut-être le principal. Dans n'importe quelle situation, nous ne demeurons fidèles qu'à nous-mêmes, mais de chacune de nos rencontres naît quelque chose qui apporte, je l'espère, une grande joie à tous ceux qui aiment la musique et la poésie.

« György Kurtág », Contrechamps n°12/13, Genève, 1990.

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