Klaus Huber (1924-2017)

Erinnere dich an G... (1976 -1977)

pour contrebasse et dix-huit instruments
[Souviens-toi de G...]

  • Informations générales
    • Date de composition : 1976 - 1977
    • Durée : 19 mn
    • Éditeur : Schott, nº ED 6953
Effectif détaillé
  • soliste : 1 contrebasse
  • 1 flûte, 1 hautbois, 3 clarinettes, 1 basson, 3 cors, 1 trombone, 2 percussionnistes, 1 timbales, 1 harpe, 1 guitare, 3 altos

Information sur la création

  • Date : avril 1977
    Lieu :

    France, Festival de Royan.


    Interprètes :

    Fernando Grillo (contrebasse)

Titres des parties

  • Invention sur les glissandos
  • Invention sur les accords et les bruits
  • Invention sur les harmoniques et les sonorités spectrales
  • Invention sur les pizzicatos (tombeau de Celui qui mourut sous la torture)

Note de programme

« C'est à Fernando Grillo que revient le mérite de m'avoir ouvert des horizons insoupçonnés sur les possibilités de son instrument. Aussi ai-je tenté de créer une musique à partir de sa sonorité. Quelles préférences peut bien avoir un contrebassiste en matière de timbres ? Grillo m'a parlé de cors, de clarinettes, d'altos, de timbales, d'une scie musicale... Bien entendu, je n'ai pas suivi sa proposition à la lettre ; pourtant l'ensemble retenu est nettement dominé par la présence de trois clarinettes (dont deux clarinettes basses), des cors et des altos. Pour la totalité de l'œuvre, la contrebasse est accordée de manière inhabituelle (mi bémol - si - mi - si bémol). Il découle de ces trois intervalles différents un large éventail d'harmoniques et de doubles harmoniques naturelles. » (Klaus Huber, Ecrits, Editions Contrechamps, Genève)

Mais le sens profond de cette pièce est ailleurs. Elle a été inspirée par un poème de la théologienne protestante Dorothee Sölle :

« Souviens-toi de Gotama, jeune homme de bonne famille
qui fut si bien gardé, si bien protégé,
qu'en faisant une promenade dans le parc
à l'âge de dix-huit ans il prit peur
en voyant quatre personnages
que l'on te cache volontiers à toi aussi
la maladie, la faim, la vieillesse, la mort...

Celui dont je vais te raconter l'histoire
lui aussi les a rencontrés
tandis qu'il parcourait son pays...

Il les rencontra tous
mais il ne se retira pas sur le mont de la sagesse
non, il les invita à manger
ils ont pris place à sa table...
ils ont parcouru avec lui les chemins poussiéreux... »

En ne gardant que l'initiale de Gotama, G..., Klaus Huber veut évoquer aussi le « Crucifié » (« Gekreuzigte »), le « Torturé » (« Gefolterte »), le « Camarade » (« Genosse ») et le « Golgotha », ainsi se cache derrière une apparence de petit concerto virtuose pour contrebasse et ensemble, un oratorio secret qui préfigure le thème de Erniedrigt-Geknechtet-Verlassen-Verachtet (Humiliés-Asservis-Abandonnés-Méprisés) : la compassion envers les plus faibles, la réincarnation du Christ dans les figures contemporaines de tous ceux ou celles qui souffrent de la pauvreté et de la violence.

« Notre problème est en effet que nous ne parvenons pas à nous situer par rapport à la souffrance des centaines de milliers d'humains qui vivent dans les prisons et qui sont torturés. Quand quelque chose d'indicible se produit à grande échelle, il intervient un blocage psychologique, un refus d'en prendre acte. En ce sens, le titre de mon œuvre invite à se souvenir de quelqu'un de précis, à se solidariser avec une personne déterminée. »

Cette pièce comporte quatre mouvements, chacun reposant sur un procédé de composition bien particulier, et se répondant deux à deux comme la terre et le ciel de part et d'autre d'un horizon fictif :

  1. « Invention sur les glissandos », articulation irrégulière du temps
  2. « Invention sur les accords et les bruits », articulation symétrique du temps
  3. « Invention sur les harmoniques et les sonorités spectrales », articulation symétrique du temps
  4. « Invention sur les pizzicatos » (tombeau de Celui qui mourut sous la torture), articulation du temps se résorbant jusqu'à la dissolution et l'agonie.

La musique peu à peu s'emplit de silences, elle subit le sort de Celui qui l'inspire : elle se meurt. Dans le quatrième mouvement l'usage des cordes à vide de la contrebasse lui confère une couleur de mi bémol majeur, prélude à la citation d'un « tombeau » du luthiste Sylvius Léopold Weiss — l'homme se souvient, pour oublier qu'il va mourir.

Marc Texier, notice du CD Una Corda 204 532