Emmanuel Nunes (1941-2012)

73 Oeldorf 75 - III (1973 -1975)

pour bande six pistes

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 1973 - 1975
    • Durée : 30 mn
    • Éditeur : Inédit

Information sur la création

  • Date : 29 juin 1995
    Lieu :

    France, Paris, Ircam, Espace de projection, Académie d'été


Information sur l'électronique
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Eric Daubresse (réalisation en informatique musicale, Ircam)
Dispositif électronique : temps réel, sons fixés sur support (bande six pistes et électronique live)

Observations

Écouter l'enregistrement du concert du 29 juin 1995 à l'Ircam : https://medias.ircam.fr/x52b25f_73-oeldorf-75-emmanuel-nunes

Note de programme

Le titre : un lieu (Œldorf, près de Cologne) entre deux dates (1973 et 1975).

Le lieu. Œldorf était aussi le nom d’un « groupe », réunissant des musiciens comme Peter Eötvös ou Mesias Maiguashca autour d’un studio privé de musique électroacoustique (dans un texte de présentation pour The Blending Season1, Emmanuel Nunes écrivait : « [cette pièce] marque mon premier contact “professionnel” avec le groupe Œldorf, et la première fois où j’ai utilisé des moyens électroniques transformant en direct des sources instrumentales2. »).

Les dates. Entre 1973 et 1975, trois autres œuvres — Fermata3, Voyage du corps4 et Ruf 5 — dont les matériaux électroniques serviront de point de départ pour la première version (désormais retirée) d’Œldorf, dédiée à Peter Eötvös et créée en 1975 : 73 Œldorf 75 — I, pour trois bandes magnétiques stéréo et deux orgues électriques ad libitum (les parties d’orgue étaient tenues par Mesias Maiguashca et Peter Eötvös, les bandes avaient été réalisées avec l’assistance technique de Peter Eötvös et David Johnson).

Dans un texte (sans titre) issu d’un entretien avec Alain Bancquart6, Nunes parlait de ces trois bandes comme d’une « composition en mosaïque » des matériaux de Fermata, Voyage du corps et Ruf. Et il ajoutait, pour souligner que cette version initiale visait une confrontation repérable d’éléments disparates : « On trouve dans les parties d’orgue trois éléments schubertiens empruntés au dernier lied de La belle meunière, au deuxième mouvement de la Sonate posthume en si bémol pour piano [D. 960] et au deuxième mouvement du Quintette à cordes [D. 956]. Il ne s’agit aucunement d’un collage, technique qui, de par son esprit, m’est totalement étrangère. » De même, en ce qui concerne ladite composition en mosaïque, Nunes soulignait dans un autre contexte qu’« il ne s’agit nullement d’un travail de collage, procédé auquel je n’adhère pas7 ». Si bien que les trois bandes « ne correspondent pas exactement » à celles des œuvres-sources : elles sont plutôt le résultat d’une recomposition et d’une redistribution dans l’espace et dans le temps, faisant apparaître une « profonde parenté », une « complémentarité de relations harmoniques » entre les matériaux8. A ce titre, Œldorf est déjà, comme bien d’autres œuvres de Nunes, un véritable Quodlibet avant la lettre.

La version présentée à l’Académie d’été est le fruit d’un travail de mixage et de « rénovation acoustique » (à l’aide de la Station d’informatique musicale de l’Ircam) de cette archive vieille de plus de vingt ans. Elle conserve uniquement le matériaux des trois bandes stéréo, dont la spatialisation (réalisée à l’époque par une diffusion « en croix » à partir de trois magnétophones) est désormais sur support bande numérique six pistes.

Dans le contexte « pédagogique » de cette Académie, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que Nunes avait réalisé une seconde version d’Œldorf, dont la visée était pour ainsi dire didactique : 73 Œldorf 75 — II, pour six groupes chorals et trois bandes magnétiques stéréo, créé avec les étudiants de l’Université de Pau en 1976, sous la direction de Françoise Maneveau. Il s’agissait d’une « expérience » que Nunes renouvellera à Lisbonne9, puis à Darmstadt, comme en témoigne cet entretien avec Claudio Ambrosini :

« Tu as surtout étudié et vécu à l’étranger, en France et en Allemagne. Qu’est-ce que tu veux donner aux jeunes compositeurs qui, deux fois par an, viennent ici [à Lisbonne] à tes cours de composition ?

Je veux donner avant tout ce bagage technique et culturel que j’ai reçu à l’extérieur et qui les mettrait en situation d’être, au point de vue professionnel, au niveau du reste de la production musicale européenne. C’est très important pour moi, parce qu’ici, il n’existe pas une vraie culture musicale. Il existe bien sûr une tradition de musique populaire, mais elle aussi tend à se perdre… et puis on ne peut pas se mettre aujourd’hui à faire du Bartók. Je veux leur donner avant tout un métier, en travaillant au coude à coude, comme dans les ateliers de la Renaissance. L’été prochain à Darmstadt, par exemple, après une phase initiale consacrée à l’expérience théorique, je composerai pendant les vingt jours du cours une pièce, devant mes étudiants, en discutant avec eux mes opérations, en leur expliquant le pourquoi de mes choix [ce projet n’a finalement pas pu être réalisé]. […] Evidemment, ce ne sera pas le maximum que je pourrais faire : ce sera une pièce-écrite-en-vingt-jours, mais je suis également convaincu de la validité didactique d’une telle expérience, de même que pour celles que j’ai pu diriger précédemment à Lisbonne et à l'Université de Pau.10 »


  1. 1973 ; pour clarinette, flûte, alto, orgue électrique et deux synthétiseurs.
  2. Nunes n’a jamais été membre à part entière du groupe ŒLDORF, aux activités duquel il participait en tant que compositeur invité.
  3. 1973, retirée du catalogue. Pour orchestre et bande magnétique. Création : Lisbonne, 23.1.1974 ; Orchestre Gulbenkian, dir. : Michel Tabachnik. Dédié à Mme Amado da Cunha.
  4. 1973. Révisé en 1976-1977, actuellement en cours de révision. Pour flûte, alto, clarinette, orgue électrique et 4 x 2 modulations d’amplitude. Création : Œldorf, 1973 ; Suzanne Stephens (cl.), Joachim Krist (alto), Daniel Johnson (fl.) et Peter Eötvös (orgue). Création de la version révisée : Lisbonne, Deuxièmes rencontres Gulbenkian de musique contemporaine, 1977 ; L’Itinéraire.
  5. 1975-1977. Pour orchestre et bande magnétique. Création : Royan, 1977 ; Orchestre SWF Baden-Baden, dir. : Ernest Bour. Dédié à Ton-That Tiet.
  6. Perspectives du xxe siècle, Journée Emmanuel Nunes, Radio France, 1980.
  7. « 73 Œldorf 75 — I », dans Emmanuel Nunes, Retrato de um compositor, Fundação de Serralves, programme des concerts des 15 et 16 mars 1991.
  8. Ibid.
  9. Cf. Roy Rosado, « Versus I (1982-84) », dans Emmanuel Nunes, Retrato de um compositor, Fundação de Serralves, programme des concerts des 15 et 16 mars 1991 : « En mai 1981, Emmanuel Nunes compose une œuvre intitulée 38 Sequências, écrite au cours d’un séminaire de composition inscrit dans le programme des activités des Rencontres de Musique Contemporaine que la Fondation Gulbenkian organise tous les ans. » Versus I est en effet issu de la réécriture du matériau des 38 Sequências.
  10. Claudio Ambrosini, « L’identità portoghese », dans 1985 la musica, Rome, novembre 1985, p. 41. L’article d’Ambrosini contient des extraits d’entretiens (interviste) avec Emmanuel Nunes, João Peixinho et Carlos Pontes Leça.

Peter Szendy, note de programme du concert du 29 juin 1995 à l'Ircam