Bernard Parmegiani (1927-2013)

La Création du monde (1984)

musique de concert pour électronique

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1984
    • Durée : 1 h 13 mn

Information sur la création

  • Date : 14 mai 1984

Information sur l'électronique
Dispositif électronique : sons fixés sur support

Observations

En exergue de cette vaste fresque élec­troacoustique, le compositeur a mis cette citation de Bachelard : « On n’a jamais bien vu le monde si l’on n’a pas rêvé ce que l’on voyait. En une rêverie de solitude qui accroît la solitude du rêveur, deux pro­fondeurs se conjuguent, se répercutent en échos qui vont de la profondeur de l’être du monde à une profondeur d’être du rêveur… Le Monde est si majestueux qu’il ne s’y passe plus rien : le Monde repose en sa tranquillité » (Rêverie et Cosmos).

Titres des parties

  1. Lumière noire (18 minutes)
    1. Moins l'infini
    2. Instant 0
    3. Premières forces-premières formes
  2. Métamorphose du vide (23 minutes)
    1. Lumière
    2. Jeux de configurations
    3. Echos/mélopée
  3. Signe de vie (32 minutes)
    1. Cellules
    2. Aquatisme
    3. Polyphonie
    4. Expression 1
    5. Expression 2
    6. Réalité

Note de programme

Ce n’est pas la genèse biblique (au caractère trop anecdotique) qui a inspiré mon itinéraire. Des ouvrages scientifiques ou para-scientifiques (Hubert Reeves, Carl Sagan, Robert Clarke, Steven Weinberg) m’ont fourni les principaux points de repère. Les mots qui décrivent les phénomènes de l’astrophysique sont suffisamment incitatifs pour provoquer l’imagination musicale et nourrir cette rêverie du monde. Rien n’est plus excitant pour celle-ci qu’une para­doxale vision acousmatique de la Création du Monde.

Lumière noire

Le rêveur de monde n’en finit plus de s’abîmer en lui-même pour tendre vers le point de son origine. Lumière noire… bouillon d’énergies latentes, incommensu­rables, sans stratégie consciente. Chimie sans résolution. Nappes traversées par les éléments les plus essentiels. L’écho dans l’écho multiplie l’espace par lui-même. Tout est là pour “commencer”… Le début de ce mouvement représente la partie la plus obscure dans l’évolution cos­mique. Précédant le big-bang des astrophy­siciens, elle a suscité ma rêverie musicale. L’absence de tonalité qui caractérise une grande partie du matériau sonore choisi pour Lumière noire est due à l’utilisation de “bruits blancs” définis comme sons dont la masse contient en principe toutes les fréquences accumulées statistiquement. Le choix délibéré de ces sons bruts, puis pro­filés, éclatés, traités en jaillissements, glis­sements ou répétés avec une force accrue, représentait dans mon imagerie mentale ce qu’il y a de plus suggestif de phénomènes physiquement indescriptibles. Dans un second temps, l’ébauche d’une organisation donne lieu à des oppositions ou des convergences de forces, à une dynamique de la matière à l’état naissant, puis évoluante vers des formes encore fra­giles et constamment avortées. Les prémisses de la lumière, enfin, dues à l’utilisation de sons dont les zones de hau­teur interfèrent entre le médium et l’aigu.

Métamorphose du vide

Quelque chose devient forme, chaleur, lumière, mouvement, vibrations corpuscu­laires anarchiques. Tout est “énergie d’exis­tence”. En opposition à Lumière noire ce mouve­ment use de sons timbrés et propose des couches de colorations qui se superposent ou s’enchaînent. La dynamique interne de ces couches, dont les hauteurs se répartis­sent entre une zone très grave et suraiguë, est masquée par la présence de sons vibrés plus ou moins accentués, à des vitesses variables. La lumière est présente à travers un long continuum de vibrations de plus en plus compactes qui se métamorphosent en accumulations harmoniques. Elles-mêmes dilatées, contractées, elles engendrent des jeux de couleurs très brefs, des glissements de masses sonores plus ou moins com­plexes, des itérations d’évènements ponc­tuels qui se succèdent selon des temps de vitesse accelerando-lents-réguliers. Suite à ce peuplement progressif et continuel du vide, la fin de ce mouvement annonce à travers une mélopée, quasi mélodique, la suprême consécration de ces longues et lentes transformations : les signes de la vie.

Signe de vie

C’est l’apparition d’une planète, la nôtre, sur laquelle s’organise une “logique du vivant”. De l’amibe à l’homme (à peine né) tout est manifestement signe de la vie, d’un jeu auquel participent tous les éléments de la métamorphose. Ce dernier “instant” dans la Création est paradoxalement le plus long par rapport aux deux précédents. Son exploration permet de découvrir davantage d’étapes. Le maté­riau sonore se concrétise, entendant par là qu’il se rapproche de ce que nous savons auditivement reconnaître. Musicalisés, ces sons s’articulent entre eux à travers des formes rythmiques, par traitement de leur timbre. D’abord incertains et fragiles, ils se déro­bent à toute mise en forme individuelle. Le souffle, sous tous ses aspects, répète son élan avant d’exister selon un mode d’échange avec son environnement. L’eau sous son apparence la plus réduite engendre des micro-melodies à travers des formes répétitives. Il en est ainsi du monde végétal, animal : autant de divisions qui s’induisent les unes les autres pour qu’enfin s’en déduise celui que nous sommes dans la réalité musicale et sonore de cette “créa­tion”.

Bernard Parmegiani.