Hugues Dufourt (1943)

Meeresstille (1997)

pour piano

  • Informations générales
    • Date de composition : 1997
    • Durée : 16 mn
    • Éditeur : Lemoine
Effectif détaillé
  • 1 piano

Information sur la création

  • Date : 15 octobre 1997
    Lieu :

    Festival Octobre en Normandie


Note de programme

    <p><em>Meeresstille</em> est le titre d'un poème de Goethe que Schubert mit en musique le 21 juin 1815 — l'opus 3 n°2, D 216 — et dont Hugo Wolff s'inspira dans une de ses mélodies sur des poèmes de Mörike. <em>Meeresstille</em> signifie calme plat, touffeur accablante. Il s'agit de l'accalmie avant la bourrasque, d'un climat de torpeur oppressante, d'une fausse sérénité, d'un apaisement factice avant les ténèbres. Ce serait pour Freud l'expression même de la pulsion de mort, si l'on entend par là l'irrésistible tentation du retour à l'inerte qui guette tout humain par delà le "principe de plaisir". Mirage de Thomas Mann en serait l'équivalent littéraire. De même pourrait-on songer aux "embellies tardives" qui sont, chez Julien Gracq, les signes avant-coureurs du cataclysme, comme c'est le cas dans <em>Un beau ténébreux</em> ou dans le <em>Rivage des Syrtes</em>. <em>Le désert des Tartares</em> de Dino Buzzati illustre de même une situation d'attente interminable, emplie d'illusions, qui se soldera par un échec, une défaillance ultime au moment décisif. L'ouvrage de Freud, <em>Malaise dans la civilisation</em>, de 1930 — qui décrit l'union essentielle de la culture à la pulsion de mort —, trouve sa réplique dans les tableaux que Max Ernst peignit durant la Seconde Guerre mondiale — <em>L'Europe après la pluie</em> (1940-1942), <em>Nuit claire</em> (1942), <em>Torpid Town </em>(1943) ou <em>L'oeil du Silence</em> (1943-1944). Le registre expressif du musicien s'est ainsi sensiblement restreint : aucune consolation n'apaise plus la plainte, rien ne transfigure plus la nuit.</p><p>Cette pièce pour piano, jointe au <em>Postillon Kronos</em>, fait partie d'un cycle qui mêle les temps et explore simultanément le passé, le présent et l'avenir. L'héritage culturel ne doit plus être un tabou et il n'y a pas lieu de laisser au post-modernisme le soin d'en accaparer les dépouilles. Remémoration et sens du possible vont de pair. Il faut autant d'invention pour retrouver le passé qu'il n'en faut pour frayer l'avenir.<br />Le piano n'est plus — s'il l'a jamais été — l'instrument d'une confidence personnelle. Il est devenu, au XXe siècle, celui des matrices formelles. A la virtuosité romantique a succédé une conception percussive et combinatoire du clavier. S'opposant à cette tendance propre à la composition, les pianistes ont développé pour leur part un art de l'interprétation qui intègre les masses, la profondeur, la fluence, la couleur et plus encore la fusion des teintes en un camaïeu propre à exprimer les plus subtils replis de la psyché. Chez les plus grands d'entre eux, les tensions ne sont plus résolues mais transcendées, portées à un plan supérieur, avec une intensité visionnaire : tel est l'art de Richter. Alors que les compositeurs poursuivaient un dessein analytique, les interprètes recherchaient une plénitude différenciée.</p><p>C'est au dépassement de cette antinomie que je voudrais contribuer au piano. Sans méconnaître l'apport essentiel du constructivisme et la portée grandiose des édifices volontaristes du XXe siècle, il me paraît opportun d'élaborer aujourd'hui un langage pianistique capable d'intériorité et de synthèse, et apte à tirer parti de cet art du toucher qui s'est si nettement affiné au cours de ce siècle. Il me semble qu'à cet égard les interprètes ont constamment donné aux compositeurs l'exemple de l'art accompli.<br />Hugues Dufourt.</p>