Stefano Gervasoni (1962)

Com que voz (2007 -2008)

concert de mélodies sur des sonnets de Luís Vaz de Camões et des fados d'Amália Rodrigues

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 2007 - 2008
      Dates de révision : 2009 - 2010
    • Durée : 1 h 20 mn
    • Éditeur : Suvini Zerboni, Milan
    • Commande : Ircam, Casa da Musica, Ensemble Modern et Radio France
    • Livret (détail, auteur) :

      sonnets de Luís Vaz de Camões et fados d'Amália Rodrigues

Effectif détaillé
  • solistes : autre types de voix de femme solo [chanteuse de fado] , baryton solo
  • flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette, trombone, 3 percussionnistes (aussi cymbalum), harpe, guitare [portugaise] , guitare [espagnole] , accordéon, piano, violon, violon II, alto, violoncelle, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 17 février 2008
    Lieu :

    Portugal, Porto, Casa da Musica


    Interprètes :

    Cristina Branco, voix, Frank Wölner, baryton, Ensemble Modern, direction : Franck Ollu.

  • Date : 10 février 2010
    Lieu :

    Pays-Bas, Utrecht


    Interprètes :

    Cristina Branco, voix, Frank Wölner, baryton, Nieuw Ensemble, direction : Etienne Siebens.

Information sur l'électronique
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Thomas Goepfer
Dispositif électronique : temps réel

Note de programme

Com que voz chorarei meu triste fado
Que em tão dura prisão me sepultou,
Que mor não seja a dor que me deixou
O tempo, de meu bem desenganado ?
Avec quelle voix pleurerai-je mon triste sort,
qui, dans une si rude prison m’a enterré.
Que plus grande ne soit la douleur que m’a laissé
le temps, de mon amour désabusé ?

Luís Vaz de Camões

Embrassant la nostalgie et l’utopie, le passé et le futur, l’« infini » de l’Ouest (l’océan) et l’« histoire » de l’Est (l’Europe s’étirant derrière le Portugal), le regard mélancolique du fado capture l’expressivité intime de la musique et l’empreint de pensées et d’idées.

C’est cet aspect, principalement, qui m’a motivé à m’engager dans ce projet. L’œuvre est composée de vingt-quatre chants séparés par des intermèdes instrumentaux. Elle est divisée en deux cycles dont les pièces sont chantées ad alternatim par les deux chanteurs : douze pour voix de femme (interprétées par la chanteuse portugaise de fado Cristina Branco), qui sont des arrangements de chants du répertoire de la célèbre Amália Rodrigues, et treize pour baryton, qui sont des compositions originales d’après une sélection de sonnets du poète portugais du 16e siècle, Luís Vaz de Camões. Les chants sont accompagnés par un ensemble de vingt musiciens constitué notamment d’une guitare portugaise, d’une guitare classique, d’un cymbalum, d’un accordéon et d’un dispositif électronique live (réalisé à l’Ircam avec le concours du réalisateur en informatique musicale Thomas Goepfer, et le soutien d’un projet de recherches mené par Xavier Rodet et son équipe sur les émotions et l’expressivité des mots parlés et chantés, leur segmentation phonétique et leur identification phonétique en temps réel). La pièce Com que voz – donnant le titre à l’œuvre et nucleus du projet – réunit les deux chanteurs, accompagnés par leur deux trios de référence : celui du fado (guitare portugaise, guitare espagnole, contrebasse), et celui de sa contrepartie « contemporaine » (alto, accordéon, cymbalum).

Cristina Branco chante le seul fado écrit par Amália Rodrigues sur un texte de Camões (Com que voz chorarei meu triste fado) ; tout comme dans les autres fados du cycle de la chanteuse, la mélodie est conservée tandis que l’accompagnement instrumental traditionnel, transcrit fidèlement à partir d’enregistrements historiques d’Amália, est réarrangé avec « créativité » en utilisant les modes de jeu typiques de la musique contemporaine. Le baryton chante le même sonnet (superposant sa voix à celle de Cristina Branco) mais dans une version originale, composée selon les principes d’écriture propres au compositeur : les parties mélodique et instrumentale sont inédites et écrites dans le même style que les douze pièces précédentes du cycle du baryton. Ce cycle représente une sorte d’exploration des antécédents poétiques et du prototype expressif et « savant » du saudade portugais, celui du père de la littérature portugaise, qui réapparaît dans le fado à un niveau « inférieur » ; un niveau plus simple et avec moins d’artifices rhétoriques, mais nullement moins raffiné. De même, le nom d’Amália Rodrigues correspond au modèle de référence du « cycle de fados ».

Combiner « un cycle de fados » avec un « cycle de Camões » implique la création d’une série d’oppositions, d’associations, de renvois et, dans une moindre mesure, d’hybridations d’univers très différents dans le temps et dans leur forme expressive. Cela implique également la stimulation du même type d’écoute chez le public : une écoute décentralisée et fortement évocatrice.

Chaque pièce utilise un sous-groupe de l’ensemble, agissant comme une extension du timbre des trios fondamentaux. Par exemple, la couleur métallique et vibrante propre à la guitare portugaise – l’instrument symbolique du fado – trouve sa correspondance dans le cymbalum, situé au cœur du trio accompagnant le baryton dans le cycle de sonnets. Seuls les intermèdes (très brefs) ont recours au groupe instrumental dans son ensemble et constituent une sorte de commentaire sur les événements de ce voyage. Le groupe instrumental se compose d’une flûte, d’un hautbois, d’une clarinette, d’un basson, d’un cor, d’une trompette, d’un trombone, de trois percussions (dont un cymbalum), d’une harpe, d’une guitare portugaise, d’une guitare espagnole, d’un accordéon, d’un piano, de deux violons, d’un alto, d’un violoncelle et d’une contrebasse. L’électronique sert avant tout à amplifier et spatialiser la pièce, ainsi qu’à diffuser et transformer en temps réel des échantillons sonores établis à partir de matériaux documentaires propres au fado traditionnel : les sons et les bruits de la ville de Lisbonne et de la mer, portés par le vent. L’électronique concourt également à l’évocation – très filtrée ! – de la voix d’Amália Rodrigues à travers le traitement des voix de Cristina Branco et du baryton et à l’utilisation, dans les parties instrumentales, de mélismes et d’ornements microscopiques caractéristiques du style vocal du fado, fondés sur l’analyse des modèles vocaux d’Amália Rodrigues et Cristina Branco.

L’électronique live se concentre dans quatre passages précis du cycle :

  • un fado pour voix sans accompagnement pour la chanteuse,
  • un sonnet de Camões pour voix sans accompagnement pour le baryton,
  • un fado pour la chanteuse avectrio de deux guitares et contrebasse,
  • un sonnet de Camões pour le baryton et son trio – alto, cymbalum et accordéon.

Les fados tirés du répertoire d’Amália Rodrigues et réarrangés pour l’occasion sont : Barco Negro, È noite na Mouraria, Fado Português, Foi Deus, Fria Claridade, Gaivota, Lágrima, Maria Lisboa, Medo, Meu Amor, Primavera.

Les premières lignes des sonnets de Camões sont : Aqueles claros olhos que chorando (Ces beaux yeux clairs qui versaient tant de larmes) ; Amor é um fogo que arde sem se ver (L'amour est un feu qui brûle sans se voir) ; Correm turvas as águas deste rio (Troubles coulent les eaux de la rivière) ; O dia em que eu nasci morra e pereça (Mort au jour où je suis né, qu’il périsse) ; Busque Amor novas artes, novo engenho (Qu’Amour cherche autres tours et autres ruses) ; Pede o desejo, Dama, que vos veja (Le désir demande, Dame, que je vous vois) ; Um mover de olhos, brando e piedoso (Un regard qui s’émeut d’une douce pitié) ; Nunca em amor danou o atrevimento (Être hardi jamais n’a fait tort en amour) ; Vós outros, que buscais repouso certo (Vous qui cherchez dans la vie un repos) ; Mudam-se os tempos, mudam-se as vontades (Changent les temps et changent les désirs) ; Verdade, Amor; Razão, Merecimento (Vérité, Amour, Raison, Récompense) ; Cara minha inimiga, em cuja mão (Ennemie très aimée entre les mains de qui) ; Com que voz chorarei meu triste fado (Avec quelle voix pleurerai-je mon triste sort).

Stefano Gervasoni.