Michael Jarrell (1958)

...prisme / incidences II... (2002)

pour violon et orchestre

  • Informations générales
    • Date de composition : 2002
    • Durée : 16 mn
    • Éditeur : Lemoine
Effectif détaillé
  • soliste : violon
  • 2 flûtes, 2 hautbois, 3 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones, tuba, 3 percussionnistes, harpe, piano, 2 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 30 avril 2002
    Lieu :

    Paris, Cité de la musique


    Interprètes :

    Hae-Sun Kang : violon et l'Ensemble intercontemporain, direction : Markus Stenz.

Note de programme

Une œuvre pour violon et ensemble : le projet semble ici réitérer un geste historique que Michael Jarrell, avec son art du détournement et des connexions multiples, absorbe volontiers. Voici une écriture qui ne se laisse pas enfermer dans ce à quoi elle adhère : lisibilité formelle et syntaxique. Adhérer à ce que l'on pourrait appeler un classicisme de facture, c'est pour Michael Jarrell, se confronter à une démarche quasi artisanale, où la composition tiendrait lieu d'outil, de support à investir par des procédures traditionnelles. Ne pas se laisser enfermer dans ce classicisme, revient à en détourner la logique de prévisibilité. Un événement musical, qu'il soit mélodique, rythmique, harmonique, timbrique, ou, comme c'est le cas dans ...prisme / incidences..., instrumental, peut dévier de sa trajectoire, opter pour de nouvelles configurations ou agencements, sans pour autant annuler la cohérence de qui précède et de ce qui va suivre. Les œuvres de Michael Jarrell, entre représentation figurative – parce que le compositeur accorde une grande importance à la ligne, au son du dessin à proprement parler – et abstraction – parce que les angulations de la ligne ne sont pas pensées comme des micro-récits, mais comme des événements –, sont pour la plupart à la recherche d'un volume qui permettrait à la linéarité du discours de s'incarner davantage, à la fois dans le matériau, et dans la perception. La notion de prisme affectée à tout un ensemble instrumental que Jarrell rend explicite dans le titre de son œuvre, condense et cristallise la face cachée du violon solo. « Fréquemment, précise Jarrell, j'aime employer un concept extra-musical, qu'il soit issu du domaine visuel ou littéraire. » C'est avec la plénitude du dessin qu'un artiste tel que Giacometti cherchait « ce moyen formidable (...) de voir clair comme personne  ». De même, c'est encore avec la plénitude du dessein mélodique que Jarrell cherche des angulations contradictoires ou complémentaires, le moment où l'ensemble instrumental se rabat sur le violon par exemple, comme un cristal à facettes, comme un prisme qui transforme la partition en objet. Quant à l'idée d'incidence, elle doit être entendue au sens architectonique du terme. Il y a chez Jarrell un désir dialectique qui consiste à travailler les masses sonores par la ligne et inversement. De sorte que l'ensemble instrumental réfracte les attributions du violon solo, il crée des volumes singuliers, indépendants. Un des effets d'incidence décisif réside dans la transformation de la couleur instrumentale par la couleur instrumentale. Paradoxe magique du prisme : en décomposant les sons du violon, en les répartissant de façon cristallique, Jarrell parvient à modifier la qualité reconnaissable des attaques instrumentales. Plus que des interpolations de timbres complexes, il s'agit de faisceaux acoustiques rendant caduque une perception homogène de la sonorité, tandis que le développement formel de l'œuvre répond à une norme transparente. À la singularité du prisme répond la pluralité de l'incidence ou des incidences. Le choc provoqué par l'onde réfractée est sans limite, ou du moins, les limites de la notation qui chez Jarrell revêt des allures souvent infinitésimales, n'implique pas une limite de promulgation des couleurs et des volumes. La rhétorique du concerto parvient ici au seuil de sa propre déstabilisation, voire dissolution. Le prisme induit les incidences en tant que forme, et non plus seulement en tant que grammaire.

Danielle Cohen Levinas.