Gérard Zinsstag (1941)

Espressivo (1989)

fantaisie pour cymbalum et 13 instrumentistes

  • Informations générales
    • Date de composition : 1989
    • Durée : 15 mn
    • Éditeur : Salabert, Paris
    • Commande : Ensemble Intercontemporain

Information sur la création

  • Date : 11 avril 1991
    Lieu :

    Centre Georges-Pompidou, Paris


    Interprètes :

    Michel Cerutti (cymbalum), Ensemble Intercontemporain, direction: Péter Eötvös

Note de programme

Un soir, c'était je pense en 1955, mon père, qui était bassoniste à l'Orchestre de la Suisse Romande, m'emmena au Victoria-Hall à un concert dirigé par Ernest Ansermet. Au programme figurait une œuvre de Kodály sur des motifs populaires avec une partie assez importante de cymbalum. Je fus émerveillé par cet « objet instrumental » dont la forme caractéristique — une table dans laquelle étaient tendues des dizaines de cordes métalliques — me faisait penser à un « piano renversé » auquel toute la partie mécanique — touches, marteaux, étouffoirs  — aurait été supprimée ! La suppression de ces intermédiaires permettait à l'instrument un déploiement sonore, une libération d'énergie, une variété dans les attaques et les timbres absolument fascinante. Et c'est ainsi que, 35 ans après, l'idée me vint de réaliser, par le truchement de la composition, ce qu'enfant j'aurais voulu faire : jouer du cymbalum !

Espressivo est, avec Anaphores (piano et orchestre), ma deuxième fantaisie. Si j'ai choisi la fantaisie comme genre, plutôt démodé j'en conviens, c'était pour me permettre une certaine liberté dans la forme et pour retrouver un énoncé musical plus simple, plus direct aussi. Le dénominateur commun de ces deux fantaisies est l'utilisation de musiques populaires d'orgine orientale : une mélodie tchétchène (Caucase) pour Anaphores et une Hora (rythme balkanique) pour Espressivo.

Ces motifs de musique populaire, avec leur fraîcheur, leur spontanéité, furent, à des niveaux différents, l'étincelle déclenchant le processus compositionnel de ces deux fantaisies. Contrairement au piano, dont la lutherie s'est constamment perfectionnée, le cymbalum n'a pas subi d'évolution technique et a pu rester un instrument populaire. Je ne voulais ni ne pouvais lui renier son aura en la transgressant et la déracinant complètement de son contexte orginel. Je me suis attaché donc à mettre en évidence la beauté crue et brute de ces cordes frappées, aux résonnances fendues et riches en harmoniques naturelles !

Le déroulement formel de la pièce comporte cinq mouvements s'enchaînant les uns aux autres : un prélude, un ostinato, un interlude, une Hora et un postlude.Les deux centres de gravité d'Espressivo reposent cependant sur l'ostinato et sur la Hora. La structure de l'ostinato est réalisée au moyen de brèves impulsions sonores (accords en arpeggio) séparées par des silences dont les durées sont calculées au moyen d'un système de grilles se juxtaposant et se resserrant progressivement pour aboutir à un continuum général.

Deux sortes de grilles sont utilisées : l'une, à caractère immuable, est appliquée à deux groupes instumentaux ayant des pauses dont l'unité est le triolet de croches (17-21 pour les cordes et 13-19 pour les vents) ; l'autre grille, à caractère décroissant, est appliquée à trois instruments ayant des pauses dont l'unité est la double-croche (cymbalum : 16-15-18-17 / 15-14-17-16 / etc, harpe : 15-16-17-18 / 14-15-16-17 / etc, synthétiseur : 19-15-16-17 / 18-14-15-16 / etc). Le début de chaque grille décroissante est caractérisé par un signal acoustique facilement identifiable : octaves de mi bémol pour le cymbalum, octaves en ré pour la harpe et octaves dissonantes si-do pour le synthétiseur. Une série de trois sons en arpeggio, qui revient de manière cyclique au fur et à mesure du rétrécissement de la grille, suit ce signal. L'antinomie de ces deux différentes perceptions temporelles que nous subissons, « temps objectif/temps subjectif » ou « temps cosmique/temps intérieur », est un des aspects de la phénoménologie musicale qui me fascine depuis longemps. J'ai déjà utilisé ce procédé de grilles de durées dans plusieurs œuvres antérieures (Perforation, Incalzando, Tempi inquieti, Artifices II).

La Hora (version bulgare), deuxième centre de gravité, est en opposition totale avec mes préoccupations d'ordre psycho-acoustique ! Cette danse, que j'ai transcrite librement d'après un exemple trouvé dans un manuel de cymbalum, est de structure simple : le caractère « boiteux », typiquement balkanique, réside dans l'alternance joyeuse des triolets et des croches pointées-doubles croches, même si ces figures se trouvent curieusement prises dans un mesure carrée en 4/4. J'ai développé les préambules rythmiques et le thème central selon mon instinct, sans me soucier d'une trop grande authenticité, car l'important était bien ici de se laisser emporter par l'irrésistible élan de cette danse !

Gérard Zinsstag, concert de création, 11 et 12 avril 1991, Centre Georges-Pompidou, Grande salle