Roger Reynolds (1934)

Odyssey (1989 -1993)

pour voix, ensemble et électronique

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 1989 - 1993
    • Durée : 1 h 15 mn
    • Éditeur : Peters
    • Commande : Ircam-Centre Pompidou
    • Livret (détail, auteur) :

      Samuel Beckett, I. they come, II. what would I do, III. my way is in the sand, IV. Texts for Nothing (section IX).

Effectif détaillé
  • solistes : mezzo-soprano, baryton-basse
  • flûte (aussi flûte piccolo), hautbois, clarinette, basson (aussi contrebasson), cor, trompette, trombone, trombone basse, 3 percussionnistes, piano, 2 violons, violoncelle, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 17 juin 1993
    Lieu :

    France, Paris, Centre Pompidou


    Interprètes :

    Marie Kobayashi : mezzo-soprano, Philip Larson : baryton-basse, l'Ensemble intercontemporain, direction : David Robertson.

Information sur l'électronique
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Jan Vandenheede
Dispositif électronique : sons fixés sur support, dispositif multimédia (vidéo, lumière) (8 canaux (4+4), voix enregistrées : Christopher Thiery et Anne Giannini)

Observations

  • Titre original : Entre le galet et la dune.
  • Création lumières : Dominique Brughière.

Titres des parties

  • Prélude : Ocean
  • Others
  • Self
  • Inquiry
  • Credo

Note de programme

Entre le galet et la dune : ce fragment d'un poème de Beckett (« je suis ce cours de sable qui glisse / entre le galet et la dune ») ouvre en quelque sorte l'espace – infime et infini à la fois (« le temps d'une porte / qui s'ouvre et se referme », dit un autre fragment) – de l'œuvre à laquelle Roger Reynolds travaille depuis cinq ans.

Cinq ans passés à fréquenter quotidiennement ces Poèmes et ces Textes pour rien, à parcourir leur texte et intertexte tendu entre deux langues, à les lire, les relire et les faire lire (par Christopher Thiery, par Anne Giannini, tous deux bilingues), à analyser leurs grammaires parallèles, à les denteler et les échancrer, à les enregistrer, à les tisser en un contrepoint double : en une « surimpression de gloses ».

Pourtant, comme le dit Roger Reynolds, l'origine de cette œuvre n'est pas dans les mots de Beckett, et elle est peut-être par là même plus près de Beckett :
dans le désir d'aller au-delà ou en dessous du langage, avec la voix, la spatialisation et l'ordinateur.
in the desire to go beyond or beneath language with the voice, spatialization and computer processing.

Beckett n'écrivait-il pas, dans son ouvrage consacré à Proust :
L'opéra est (...) par définition une corruption affreuse de l'art le plus désincarné qui soit. Les paroles d'un livret sont à la phrase musicale qu'elles individualisent ce que, par exemple, la colonne Vendôme est à la perpendiculaire idéale.

Et l'œuvre de Roger Reynolds, plutôt que de mettre des paroles sur de la musique (ou de la musique sur des paroles), cherche à créer, dans la lignée du cycle Voicespace entrepris en 1975, un espace de la voix.

Cet espace est tout d'abord celui de la voix elle-même, l'espace microtonal des courbes intonatives, des « mélodies parlées » : un espace (une fois de plus) infime et pourtant infini, car distendu par l'ordinateur — cette élongation temporelle permettant d'accéder « au-delà ou en dessous du langage » :
les expressions parlées révélèrent le lyrisme inhérent à leurs structures de hauteurs, et cela m'a permis de composer des lignes musicales complémentaires.
the spoken phrases revealed their inherently lyrical pitch structure, and this allowed me to compose complementary musical lines.

(C'est peut-être ici le lieu de rappeler les liens que Roger Reynolds a tissés au cours des années avec le Japon, ainsi que sa collaboration avec le metteur en scène Tadashi Suzuki pour des productions théâtrales multilingues. A l'écoute deThe Palace, la quatrième pièce du cycle Voicespace, on ne peut s'empêcher de songer au nô qui, à l'inverse du Sprechgesang schoenberguien, affecte un timbre chanté à une étendue, à un ambitus propre à la parole.)

Mais cet espace est aussi celui du lieu, de la salle de concerts. Chaque voix — comme ces voix beckettiennes de L'Innommable qui sans cesse se déplacent et s'échangent — est dotée d'un parcours ; chaque voix devient nomade, sillonnant son territoire propre :
chacune des deux lectures pouvait être placée sur des trajectoires spatiales dotées de propriétés géométriques élémentaires, pour que le français et l'anglais soient le reflet l'un de l'autre dans l'espace et dans le temps.
each of the paired readings could be placed on spatial paths withele mentary geometries, in such a way that the French and English effectively mirrored one another in space and time.

Si bien que l'auditeur est convié à un « ballet de mouvements expressifs » :
le sujet, ce n'est pas les gestes du danseur, mais les expressions du poète.
the subject is not the dancer's gestures but the poet's phrases.

C'est Deirdre Bair qui rapporte ces propos de Beckett, dont l'influence, au dire du compositeur lui-même, est sensible dans la forme de l'œuvre :
Trouver une forme qui accommode le désordre, voilà la tâche de l'artiste aujourd'hui.
To find a form that accommodates the mess, that is the task of the artist now.

Roger Reynolds a en effet eu recours à la théorie du chaos, et notamment à une représentation graphique de l'attracteur dit de Hénon (cf. figure 2 ci-contre), afin de définir des proportions géométriques inattendues. Voici, d'après les notes du compositeur, un synopsis de l'œuvre (les titres des différentes sections sont de Roger Reynolds et se réfèrent à la teneur thématique des textes de Beckett) :

Prélude : Ocean (5 minutes)(à partir de la pièce Versions/Stages)
Les bruits de l'océan sont fragmentés de manière algorithmique et spatialisés par l'ordinateur.

Others (16 minutes 30)
Entrée des deux chanteurs — sur des fragments de « ...the absence of love... » —, suivie de plusieurs autres duos vocaux et instrumentaux (hautbois et trompette avec sourdine, trombone et violoncelle...). Lecture du premier poème par deux voix (homme et femme). Mosaïque d'accords, couverte par le lyrisme du phrasé de la clarinette et des voix. Le piano réitère le même accord, par-dessus les liaisons des autres instruments.

Self (3 minutes)
Duel agité entre les deux violons, et son reflet par l'ordinateur. Lecture du deuxième poème (voix de femme). Cascade continue de figurations instrumentales rapides.

Inquiry (32 minutes)
Lecture du fragment en prose des Textes pour rien (voix d'homme), entrecoupée d'interjections diverses. La section se clôt sur un implacable barrage des percussions et du piano, bientôt amplifié par la violence des accords du tutti.

Credo (14 minutes 30)
Fragments textuels chantés et chuchotés, repris en écho par les instruments. Lecture du troisième poème (voix de femme). Transformées par l'ordinateur, les sonorités du violon, de la clarinette et du violoncelle forment une sorte de bourdon élaboré, au-dessus duquel interviennent des agrégats instrumentaux au caractère affirmatif. Après un mi grave et sonore de l'ordinateur, le titre de l'œuvre est répété de manière cyclique, toujours plus étiré à mesure que le langage devient sonorité pure.

Peter Szendy

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