Ichiro Nodaïra (1953)

Quatorze écarts vers le défi (1990 -1991)

pour piano MIDI, cordes et électronique (ordinateur 4X)

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 1990 - 1991
      Dates de révision : 1993
    • Durée : 45 mn
    • Éditeur : Lemoine, Paris, nº 26621, 1991
    • Commande : Ircam-Centre Pompidou
Effectif détaillé
  • soliste : clavier électronique/MIDI/synthétiseur
  • 3 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 11 avril 1991
    Lieu :

    Paris, Centre Georges-Pompidou


    Interprètes :

    Pierre-Laurent Aimard : piano, Ensemble intercontemporain, direction : Peter Eötvös.

Information sur l'électronique
Information sur le studio : Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Cort Lippe
Dispositif électronique : autre dispositif électronique (4X)

Observations

Enregistrement : Pierre-Laurent Aimard, technique Ircam, Ensemble intercontemporain, direction : Peter Eötvös, 1 cd Fon-FOCD2535.

Écouter l’enregistrement du concert du 12 avril 1991 au Centre Georges Pompidou : https://medias.ircam.fr/x97560c_quatorze-ecarts-vers-le-defi-ichiro-nodair

Note de programme

La pièce met en jeu trois actants, dans un rapport constamment changeant : le piano, l'ordinateur (le système 4X et l'environnement MAX, mis au point par Miller Puckette) et les cordes. Seul le piano communique avec la 4X ; les cordes restent inaltérées : leur fonction est plutôt celle d'un « liant » entre l'univers tempéré du piano et celui micro-intervallique de la machine.

Quatorze écarts : quatorze sections.

A la source de l'œuvre, un « flux sonore » de neuf notes : une séquence ininterrompue de permutations et d'interpolations à partir de ces neuf notes est programmée pour être générée automatiquement. Virtuellement présente pendant toute la durée de la pièce, cette séquence n'est actualisée qu'à certains moments : elle est alors le plus souvent perçue comme un fond amorphe – parfois en quarts ou en huitièmes de ton – et continu, tel le bourdonnement d'une ruche.

Elle subit quatorze métamorphoses, dans des directions différentes ; chacun de ces écarts va jusqu'au bout des possibilités : la séquence doit être méconnaissable, perdre son identité avant de se reformer pour subir de nouvelles déviations.( Dans la première section, la séquence apparaît d'abord réduite à une seule note – fa – qui tourne en quelque sorte sur elle-même ; elle circule dans l'espace de la salle de concert, affectée de brusques sauts d'intensités aléatoires, auxquels les cordes font parfois écho. Au cours de la seconde section – plus « théorique » – le piano, la 4X et les cordes se rejoignent l'espace de quelques mesures pour faire entendre ensemble la séquence et quelques permutations.)

Vers le défi : l'œuvre – toutes les œuvres ? – tend vers une limite idéale, jamais atteinte. Le pianiste et l'ordinateur entament un véritable dialogue, toujours renouvelé, échappant au carcan de la formalisation. Grâce à une remarquable variété de mécanismes d'interaction, le compositeur réussit à créer les conditions d'un échange au-delà de la simple logique : le rapport dialogique de l'homme à la machine donne une impulsion proprement dramatique à l'œuvre. Par exemple, la diversité recherchée des modes de jeu du pianiste peut agir sur les formants de certains spectres préparés. Ou bien, l'enregistrement en temps réel de segments de son discours peut devenir l'objet de transformations qu'il va lui-même déclencher. Ou encore, il peut ouvrir sur la séquence continue des « fenêtres » dont la longueur variable est fonction de la vélocité de son jeu.

Ichiro Nodaïra s'attache plus particulièrement à explorer les limites où « l'automatisme va se transformer en liberté », à créer « une marge d'erreur » dans des processus mécanisés.  Ainsi, les notes qui composent un accord plaqué par le soliste ne peuvent jamais être parfaitement simultanées : en imposant à la machine de ne prendre en compte que la dernière de ces notes, on introduit une forme de « hasard contrôlé ».

L'œuvre se densifie en strates multiples : le piano, la 4X et les cordes ont chacun leur temps propre. Dans la seconde section, l'ordinateur confronte l'interprète à la relecture décélérée de ses propres figures, comme par rémanence ; certains agrégats joués par le soliste prennent soudain une dimension formidable, par « réverbération infinie ». La section finale est entièrement consacrée à l'enregistrement en temps réel du solo « frénétique » du pianiste, et à sa transformation gigantesque. Le geste magnifié convoque ses propres traces, les faisant surgir de l'évanouissement en un scintillement sonore qui défie le temps : ici a lieu, selon les termes du compositeur, un « croisement du présent et du passé ». Comme le temps, l'espace d'écoute est traversé selon un entrelacs de parcours. L'épisode « joyeux et dansant » de la troisième section procède à un éclatement des figures du soliste, accompagné des pizzicati des cordes : autant de notes dispersées comme des points dans l'aire de jeu.

Quatorze écarts vers le défi est la partition la plus longue de son auteur - plus de quarante minutes. En réussissant à orchestrer un tel débat – qui prend parfois des allures de combat – Ichiro Nodaïra crée une œuvre d'une grande ampleur dramatique : un véritable « opéra sans argument ».

Peter Szendy, programme des concert les 11 et 12 avril 1991, Centre Georges-Pompidou, Grande salle.