Tristan Murail (1947)

Allégories (1989 -1990)

pour six instruments et dispositif de synthèse

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1989 - 1990
      Dates de révision : 2000
    • Durée : 17 mn
    • Éditeur : Lemoine, Paris, nº 28228
    • Commande : État français pour l'ensemble Musique oblique
Effectif détaillé
  • flûte (aussi flûte piccolo), clarinette, cor, violon, violoncelle, percussionniste, clavier électronique/MIDI/synthétiseur, clavier électronique/MIDI/synthétiseur [TX816]

Information sur la création

  • Date : 26 mars 1990
    Lieu :

    Belgique, Bruxelles, festival Ars Musica


    Interprètes :

    l'ensemble Musique oblique, direction : Peter Rundel.

Information sur l'électronique
Dispositif électronique : autre dispositif électronique

Observations

Enregistrement : Ensemble Fa, Dominique My : piano et direction, 1 cd Accord, AC4658992.

Note de programme

Allégories confronte le monde instrumental aux sons de synthèse. Plutôt qu'une bande magnétique, qui oblige à une synchronisation rigide, Allégories utilise un système assez simple de synthèse en temps réel. Les événements synthétiques, parfois très complexes, sont déclenchés par un musicien au moyen d'un clavier de synthétiseur relié à l'ordinateur. Ainsi, c'est la partie synthétique qui suit le chef d'orchestre, et non l'inverse.

Généralement, les sons synthétiques doivent se fondre dans les instruments, les compléter, les prolonger, les annoncer, en transformer le timbre. À quelques rares moments, on les entend de façon plus individuelle, comme une sorte de contrepoint ou plutôt de base de l'édifice sonore. Le plus souvent, ils sont fabriqués par « synthèse additive » (technique consistant à agglomérer des composantes simples, sinusoïdales, pour obtenir des sons complexes).

Le projet d'Allégories est également de rechercher une grande souplesse, une grande mobilité, dans le déroulement formel. La notion de « processus » (changement progressif d'un état sonore à un autre état) est ainsi élargie : tout événement sonore peut être considéré comme un processus. On peut comprimer les processus jusqu'à les faire devenir geste ou son, ou créer des processus gouvernant des progressions de processus... recréant ainsi un véritable discours musical, évitant cependant qu'il ne soit basé, comme dans le passé, sur les notions de développement thématique ou cellulaire. Parfois, les processus sont à peine esquissés, résumés, accélérés, symbolisés, la musique fonctionnant alors comme allégorie du processus sous-jacent. Le temps, enfin, ne se déroule pas de façon linéaire, mais plutôt comme une spirale où la substance musicale tend à revenir perpétuellement sur elle-même, cependant sous des formes constamment changées par ces jeux de processus. La pièce est ainsi presque entièrement contenue dans les « appels » initiaux.

Tristan Murail, éditions Lemoine.

Allégories est composée pour un petit ensemble mixte d'instruments à vent et à cordes auquel s'ajoute un dispositif électronique complexe intervenant en direct et comprenant notamment un Yamaha TX-816 relié à un Macintosh. Grâce au programme Max élaboré à l'Ircam par Miller Puckette, l'un des exécutants peut émettre en temps réel des séquences complexes de sons synthétisés par le TX-816, ce qui permet en concert une bien plus grande flexibilité que le recours à une bande préenregistrée.

Cette œuvre se situe dans la continuité de Désintégrations (1982), pour ensemble et bande. Comme dans cette dernière pièce, Murail cherche à mêler intimement sons électroniques et musique instrumentale, afin qu'il soit souvent difficile de distinguer l'un de l'autre. Dans Allégories, la plupart des sons sont construits selon une technique de synthèse additive, en superposant de nombreux sons purs et sinusoïdaux pour créer des timbres qui forment la substance de l'harmonie instrumentale.

La structure temporelle et harmonique de l'œuvre se révèle nettement plus complexe qu'elle ne l'est généralement dans les pièces précédentes du compositeur : les processus demeurent d'une extrême rigueur mais ils évoluent bien plus vite que dans Territoires de l'oubli (1977), et sont souvent considérablement abrégés. Ainsi, la musique ne fait souvent que suggérer des processus et des formes qui restent en suspens, fonctionnant, selon le mot choisi par le compositeur, comme une « allégorie » du processus suggéré. De plus, certaines parties écrites réapparaissent de façon récurrente (les premières mesures, par exemple, reviennent juste après le milieu de la pièce), créant une trame ambiguë de boucles temporelles qui rappellent une oeuvre pour orchestre de Murail : Time and Again (1985). Il en résulte une musique où alternent l'attendu et l'inattendu, le prévisible et le volatile. Comme dans Territoires de l'oubli, elle traverse des zones d'intense activité et des moments de quasi-immobilité mais, la forme n'étant pas aussi unidirectionnelle, elle se révèle aussi d'une plus grande richesse.

Julian Anderson.