L'œuvre « collaborative » du chorégraphe Alban Richard et du compositeur Paul Clift met en relief le mouvement chorégraphique à travers un dispositif de diffusion sonore attaché au corps même de la danseuse. Autour d'elle, trois musiciens de l’ensemble seront pourvus de dispositifs électroniques implémentés, là aussi, dans le corps même des instruments de musique. Ainsi les potentialités acoustiques de la clarinette, du violoncelle et de la grosse caisse pour amplifier, filtrer et transformer des sons projetés dans l'instrument se mélangeront aux sonorités de l'instrument lui-même et à leur traitement électronique en temps réel. L'effet d'ambiguïté entre le monde électronique et le monde instrumental est poussé à un point jamais atteint par ce dispositif original. La danseuse, de son côté, contrôle la directionnalité et le filtrage des sources placées dans ses mains par ses gestes. La partition chorégraphique, véritable chronologie d'événements spatiaux, est intégrée à la partition musicale. La danseuse est donc considérée comme une musicienne à part entière : que les expressions sonore et chorégraphique se rejoignent ainsi à travers le mouvement était l'idée de départ du projet. Alban Richard a d'abord composé plusieurs sections dansées à partir des sons diffusés par la danseuse. Le compositeur y a ajouté la musique et une forme. Finalement, le chorégraphe retravaille l'ensemble en fonction de la partition musicale. Se forme ainsi une sorte de processus de création circulaire, où l'une des disciplines se met à l'écoute de l'autre, alternativement. L'espace dans lequel évolue Laurie Giordano se structure lui aussi comme un processus circulaire et spiralé : partant de la marche, la danse naît de l’accumulation, de la construction et de la déconstruction de cellules chorégraphiques. En résulte une sorte de poétique de l'austérité, selon un travail à la fois complexe et minimal, portée par les mots de Joseph Brodsky.
Le compositeur remercie Buffet Crampon.
Paul Clift et Alban Richard.
Sept strophes extraites de To Urania de Joseph Brodsky
I was but what you’d brush
with your palm, what your leaning
brow would hunch to in evening’s
raven black hush. |
Je n'étais que ce que tu effleurais
avec ta paume, ce sur quoi ton front penché
s'inclinait dans le silence
du corbeau noir du soir. |
I was but what your gaze
in that dark could distinguish:
a dim shape to begin with,
later—features, a face. |
Je n'étais que ce que ton regard
pouvait distinguer dans cette obscurité :
une forme vague, pour commencer,
puis, net, un visage. |
It was you on my right,
on my left, with your heated
sighs, who molded my helix,
whispering at my side. |
C'était toi à ma droite,
à ma gauche, avec tes ardents
soupirs, qui épousais mon hélix,
chuchotant à mes côtés. |
It was you by that black
window’s trembling tulle pattern
who laid in my raw cavern
a voice calling you back. |
C'était toi près du tulle frissonnant
de cette fenêtre noire
étendue dans ma rude caverne
une voix te rappelant. |
I was practically blind.
You, appearing, then hiding,
gave me my sight and heightened
it. Thus some leave behind |
J'étais pratiquement aveugle.
Toi, te dévoilant, puis te cachant,
tu me donnais la vue et l'aiguisais.
Ainsi, certains laissent derrière eux |
a trace. Thus they make worlds.
Thus, having done so, at random
wastefully they abandon
their work to its whirls. |
une trace. Ainsi, ils fabriquent des mondes.
Ainsi, l'ayant fait, au hasard,
ils gâchent leur œuvre
en l'abandonnant à ses tourbillons. |
Thus, prey to speeds
of light, heat, cold, or darkness,
a sphere in space without markers
spins and spins. |
de la lumière, de la chaleur, du froid, ou de l'obscurité,
sphère dans l'espace sans balises,
elle tourne et tourne.
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Traduit de l’anglais par Aude Grandveau. |