C'est au moment où Pascal Dusapin composait Times Zones, son second quatuor à cordes, que l'idée d'un « quatuor infini » lui vint à l'esprit, dans lequel chaque nouvelle pièce au sein d'une série potentiellement infinie (ou peut-être n'y en aurait-il que vingt-quatre) serait un commentaire de la précédente et aussi une vision des problèmes à affronter dans la suivante.
Times Zones comprend vingt-quatre mouvements, un pour chaque fuseau horaire de la planète, principalement associés en paires. Il fut écrit en transit, pour ainsi dire, rebondissant d'un endroit du globe à l'autre : Tokyo, Rotterdam, New York, Bruxelles, Genève, Paris,... Dans la préface de la partition de Times Zones, Pascal Dusapin écrit que seul un quatuor à cordes est en mesure de servir une musique dont les lignes, les réseaux et les flux d'énergie musicale se concentrent sur ses mécanismes et la complexité de ses relations. Il se peut que cela soit vrai, mais ne s'applique que dans une certaine mesure à une œuvre qui, à mi-parcours, commence à démontrer un scepticisme certain à l'égard de toutes les notions sur le quatuor à cordes héritées à ce jour. Même au début de l'œuvre, la notion de quatuor est relative.
Il faut presque attendre la fin de Zone 1 pour que les quatre interprètes jouent ensemble, et dans Zone 3, la plupart des tentatives d'établir une continuité aboutissent au silence. Zone 4, dominé par des trilles clairement non-ornementaux, commence comme une série de duos entrecroisés, tandis que dans Zone 5, l'absence de tout autre élément qu'une coïncidence rythmique occasionnelle entre les parties, conduit finalement les instruments à créer leur propre simili-ensemble par le biais des doubles-cordes. Zone 7, un doux choral, est suivi de son opposé sur le plan conceptuel : un sauvage solo de violon à la fin duquel Dusapin écrit « Beckett est mort »... Dans Zone 13, les quatre instrumentistes se renvoient une simple ligne mélodique. Elle est préfacée d'une citation tirée des carnets de Léonard de Vinci : « L'oiseau de moindre poids, plus largement s'étale ». On trouve à la fin une dédicace à Luigi Nono, ainsi qu'une citation de Mercier et Camier de Beckett : « Ça devrait tout changer, dit Camier, mais ça ne changera rien » . Zone 15 et Zone 16 sont dominés par des mélodies à l'unisson, auxquelles succède le pendant de la citation de Beckett : « Ça ne devrait rien changer, dit Mercier, mais ça changera tout. » Zone 18 est constitué, en effet, de deux soli de violon simultanés qui semblent vouloir entamer un dialogue, recouverts à la fin par un son d'alto. Dans Zone 19, les instruments tentent désespérement de maintenir quelques accords tenus, et dans Zone 20, le violoncelle continue de jouer (féroce et fff) apparemment sans se rendre compte que les autres se sont tus. Les quatre dernières zones forment un pseudo-final, dont les matériaux de base se figent dans un mouvement de rotation si rapide qu'il s'épuise lui-même.
Richard Toop, extrait de la notice du disque du Quatuor Arditti Henri Dutilleux/ Pascal Dusapin, éditions Auvidis Montaigne en 1994 (réédité sous le label Montaigne/ Naïve). Reproduit avec l'aimable autorisation de Montaigne/Naïve.