Phèdre est en Grèce une tragédie du destin. Au XVIIe siècle, une tragédie de la passion. Mettant en musique cette intrigue traditionnelle, Maurice Ohana ne la situe pas dans la continuité du théâtre classique. Ce n'est pas une Phèdre convulsée, un Thésée justicier, un Hippolyte victime, qui vont ici apparaître, car le cœur ne mène plus le jeu. Dépossédées du langage de la tirade et de l'expression, les passions ont perdu leur éloquence : les syllabes ont remplacé les mots, le verbe s'est rétréci en monosyllabes et le texte se concentre en formules poétiques. Noyaux de force, quintessence ou résidu baltutiant, seul encore dicible, par lequel chaque héros adresse aux autres les gestes de sa solitude, ces signes restent inécoutés encore plus qu'incompris. Le Syllabaire réduit ainsi le thème de Phèdre au nexus de la situation, à l'archétype même, à la pure structure de l'épisode. Est-ce alors un destin qui préside à la pièce, l'ancienne fatalité, la loi d'airain des décrets antérieurs à toute naissance ? Mais les dieux ne sont plus là pour donner les « ordres nocturnes du cœur » ni pour les subir. Ce drame est sans raison et nulle volonté ne l'a décidé. Pourtant la nécessité règne, aveugle comme au temps du mythe. Si drame il y a, il naît alors du silence du ciel plus que du malheur des héros ou de leur solitude.
C'est là ce qui justifie sans doute l'importance du chœur et de la coryphée dans Syllabaire pour Phèdre. Commentant l'action, il restent impersonnels et ne compatissent ni ne s'indignent. Ils énoncent les faits, les amplifiant ou les distanciant tour à tour. La douleur des hommes se perd dans le silence des sphères. L'épisode de Phèdre, narré par ces voix lointaines d'un Ordre évanescent semble ici redire l'axiome tragique : Tout est à la fois juste et injuste, et, dans les deux cas, justifié. Mais nul ne tiendra les comptes de cette justice. Récusant la tradition de l'opéra du XIXe siècle, Maurice Ohana rompt dans Syllabaire pour Phèdre, autant avec le drame qu'avec l'épopée, comme si l'amour et l'aventure avaient usé leurs prestiges et que la musique, délivrée du pathétique, pouvait résonner d'accents plus sombres et plus doux à la fois. Il ne s'agit plus du drame de la passion mais de ce drame qu'est la passion, et l'existence humaine en général, mesurés à l'aune d'un univers serein parce qu'indifférent.
Six séquences s'enchaînent sans interruption, selon le schéma de la tragédie grecque :
- Prologue ;
- Parodos ;
- Episode I (dont les figures centrales sont Phèdre puis Hippolyte) ;
- Stasimon ;
- Episode 11 (centré sur Thésée) ;
- Epilogue.
Odile Marcel, catalogue raisonné de l'œuvre de Maurice Ohana, Revue Musicale, Editions Richard-Masse.