Aborder le quatuor à cordes reste dans le parcours d’un compositeur un passage important. Cet instrument à seize cordes est un véritable laboratoire de recherche et une magnifique source de stimulation pour l’imaginaire sonore. Bien que celui-là recèle de véritables richesses acoustiques, envisager le genre du quatuor à cordes a été dans un sens comme partir de zéro (to be up to scratch), comme se découvrir (à nouveau) à travers sa propre écriture. L’idée d’un premier jet, d’un « brouillon » laissant présager un deuxième quatuor a aidé à guider l’élaboration de Scratches et d’en appréhender son univers sonore. La notion de brouiller, d’égratigner, d’érafler, de rayer ou de déchirer le son, en d’autres termes de travailler sur la détérioration de la matière, sans en oublier le contrôle des hauteurs tant dans leur « verticalité » (harmonie) que dans leur « horizontalité » (mélodie) a été l’une des principales préoccupations dans la conception de ce premier quatuor. Il est également possible de voir « scratch ! » comme simple onomatopée symbolisant de potentiels états du son, mais aussi comme procédé principalement employé dans la musique industrielle et surtout dans le hip-hop par les DJ. Ce procédé, le scratch (ou scratching), consiste à faire tourner à la main un disque vinyle sous une tête de lecture de platine, alternativement en avant et en arrière, de façon à produire un effet en modifiant brusquement et par à-coups la vitesse de lecture de ce même vinyle. Le second quatuor, déjà esquissé à travers Scratches, est directement lié à ces nombreuses techniques employées par les DJ ; ce deuxième quatuor portera le titre de Crescent Scratches. Dans Scratches, au-delà de la « simple » écriture instrumentale, l’écriture de l’électronique tient une place essentielle et indissociable à celle du quatuor. Le dispositif électronique est là comme prolongement du son, extrapolation du timbre ou excroissance de la masse ; il vient densifier, décupler les possibilités sonores et provoquer une sorte de « schizophrénie » du quatuor à cordes. Grâce à un système de spatialisation, il devient possible d’extraire l’image sonore du quatuor, de la déplacer ou bien même de l’exploser. Ce procédé de diffusion permet de plonger, d’immerger l’auditeur à l’intérieur même du son afin de mieux le sentir, le ressentir ou même le « toucher ». Aucun son n’a été au préalable enregistré, tous les traitements et les transformations ont lieu en temps réel. Ce qui signifie que les algorithmes réagissent au jeu des interprètes à un instant T et rendent l’interprétation plus dynamique donc plus vivante. Ceci, dans un sens, « humanise » les machines et les met quelque part au service de l’homme !
Yann Robin.