Passages pour flûte et bande est une commande de la Biennale de Venise pour la Conférence internationale de musique par ordinateur 1982, organisée par le Laboratoire d'informatique musicale de la Biennale (LIMB). La pièce a été créée par Roberto Fabbriciani. La bande a été synthétisée par ordinateur à Marseille (Faculté de Luminy et Laboratoire de Mécanique et d'Acoustique du CNRS) sur un ordinateur Télémécanique T160 à l'aide du programme MUSIC V.
L'association d'instrumentistes vivants et de sons synthétisés par ordinateur m'intéresse, comme en témoignent mes pièces Dialogues, Inharmonique, Profils. La ductilité et la finesse de contrôle qu'autorisent la synthèse permettent d'instaurer des relations précises avec les sons instrumentaux, évitant le sentiment d'arbitraire qui naît souvent de l'association de sons acoustiques et électroacoustiques. On peut ainsi mettre en scène des rencontres intimes entre des mondes sonores intrinsèquement différents. Les instruments et les sons de synthèse peuvent converger ou diverger, se prolonger, nouer des relations harmoniques ou contrapuntiques.
Dans Passages, l'esprit de la relation entre instrument et ordinateur se rapproche de celui de la musique de chambre plutôt que de celui du concerto. Le titre fait allusion aux différents paysages sonores de la bande : la flûte passe de l'un à l'autre. Ainsi se succèdent des bruits glissants, dont les distributions spectrales imitent celles qu'on trouve dans les phénomènes de turbulence : des contours fluides et bruiteux, dont la hauteur devient de plus en plus claire ; des balayages harmoniques ; des vibratos se transformant insidieusement en trilles ; des bribes sérielles, comme des vestiges ; des battues rythmiques semblant préparer une parade ; des flux harmoniques rebondissants, qui finissent par se figer en cloches imaginaires ; des sons anonymes prenant insidieusement une couleur vocale. Face à ce décor changeant, la flûte reste elle-même, mais elle varie ses modes, ses humeurs pour trancher sur le paysage sonore ou pour s'y fondre. Passages est si l'on veut une aventure de l'identité. La flûte a une identité claire, même lorsque le flûtiste joue des sons bruités ou des whistle tones (harmoniques obtenu à partir de bruits de biseau). La bande tente par moment d'emprunter cette identité en se rapprochant du son de l'instrument. Mais ce n'est que vers la fin que l'identité vacille, lorsque le flûtiste chante et joue en même temps, alors qu'un vibrato irrégulier module les sons synthétiques pour les faire ressembler à une voix chantée.
Jean-Claude Risset.