<p>Cette instrumentation d'une ballade de Brahms est une tentative de fixer, d'objectiver la contamination étrange qui se fait entre l'invention musicale et la mémoire. Les œuvres qui nous hantent s'interposent souvent lorsqu'on croit avoir tiré une idée du néant, comme en retour, elles se colorent de nos obsessions, car, en matière d'art, la recherche est concomitante à une incessante archéologie.</p><p>Cette balade de l'opus 10 m'a hanté littéralement pendant des années : sa forme étrange, sa tessiture sans aigu, la beauté de ce mouvement de barcarolle initial, son cantando central où le chant est noyé dans une texture ondoyante, interrompu par une sorte de choral. Si elle m'a tant habité, c'est que je ne l'ai plus jamais entendu dans ma mémoire où elle s'est peu à peu oxydée, comme un objet tombé à la mer. Tâcher de la transcrire c'était la repêcher, la retrouver assimilée à mes tentatives, chargée de ce que mon propre travail musical lui avait ajouté, jusqu'à la soustraire peut-être, alors même qu'elle se pressait, comme le corail se développe sur tout matériau à sa portée, soulignant chaque forme qu'elle absorbe.</p><p>Les quelques mesures où Brahms fait tourner un accord sur lui-même, ma mémoire les a toujours démultipliées — pour être fidèle à cette impression, je les ai transcrites ainsi. Pour des raisons instrumentales, la ballade de Brahms est transposée au demi-ton supérieur, en <em>ut</em> majeur, ton décisif.</p><p><em>Gérard Pesson.</em><br /></p>