Le Gel, par jeu et les Cinq Poèmes de Sandro Penna ont été écrits en Italie et sont le résultat de deux découvertes poétiques, deux rencontres capitales : Sandro Penna, poète contemporain mort à Rome en 1977, et Emily Dickinson, poétesse américaine née en 1830 dans le Massachusetts. Leur oeuvre, apparemment si différente, n'était la commune profondeur et une tranquille gravité, est liée dans mon souvenir à la ville de Rome et aux jardins de la Villa Médicis que je voyais des fenêtres de mon cabinet de travail.
Ayant renoncé au sous-titre, je dois une explication de ce Gel, par jeu. Il s'agit d'une danse macabre, ou, pour être plus exact, d'une suite de petites danses fantômatiques, de tableaux grinçants et licifuges.
La danse macabre est le seul genre gai qui soit aussi profond. Je n'ai pas renoncé au petit attirail qu'il impose : les lattes de bois percutées qui figurent traditionnellement l'entrechoquement des os ; mais au xylophone un peu «repéré», j'ai préféré le marimba basse plus mystérieux et plus feutré. Le dies irae est inclu, comme il se doit, mais de façon tellement cryptique que j'ai moi-même déjà oublié l'opération complexe en quoi a consisté sa greffe.
Cette musique est spectrale à sa manière puisqu'y défilent des fantômes. Elle est toute vertébrée de chromatismes (les ossements de nos pauvres échelles), précipitée, traversée de courants d'air et de raclements. Siciliennes, valses, augures printaniers en bandeaux, les danses à mesure se glacent et se figent.
Cette musique est ma première expérience dans le strictement continu, dans ce qu'on appelait jadis le style concitato.
Le titre de l'œuvre est la traduction libre (Guy Jean Forgue) d'un vers d'Emily Dickinson, ange provincial du Massachusetts, qui passa sa vie à suivre des enterrements, génie fulgurant à peine incarné qui avait transcendé il y a plus d'un siècle les deux sujets de toute danse macabre - et de celle-ci (panique et ironie) : The Frost beheads it at it's play.
Gérard Pesson.