Ce n’est pas la genèse biblique (au caractère trop anecdotique) qui a inspiré mon itinéraire. Des ouvrages scientifiques ou para-scientifiques (Hubert Reeves, Carl Sagan, Robert Clarke, Steven Weinberg) m’ont fourni les principaux points de repère. Les mots qui décrivent les phénomènes de l’astrophysique sont suffisamment incitatifs pour provoquer l’imagination musicale et nourrir cette rêverie du monde. Rien n’est plus excitant pour celle-ci qu’une paradoxale vision acousmatique de la Création du Monde.
Lumière noire
Le rêveur de monde n’en finit plus de s’abîmer en lui-même pour tendre vers le point de son origine. Lumière noire… bouillon d’énergies latentes, incommensurables, sans stratégie consciente. Chimie sans résolution. Nappes traversées par les éléments les plus essentiels. L’écho dans l’écho multiplie l’espace par lui-même. Tout est là pour “commencer”… Le début de ce mouvement représente la partie la plus obscure dans l’évolution cosmique. Précédant le big-bang des astrophysiciens, elle a suscité ma rêverie musicale. L’absence de tonalité qui caractérise une grande partie du matériau sonore choisi pour Lumière noire est due à l’utilisation de “bruits blancs” définis comme sons dont la masse contient en principe toutes les fréquences accumulées statistiquement. Le choix délibéré de ces sons bruts, puis profilés, éclatés, traités en jaillissements, glissements ou répétés avec une force accrue, représentait dans mon imagerie mentale ce qu’il y a de plus suggestif de phénomènes physiquement indescriptibles. Dans un second temps, l’ébauche d’une organisation donne lieu à des oppositions ou des convergences de forces, à une dynamique de la matière à l’état naissant, puis évoluante vers des formes encore fragiles et constamment avortées. Les prémisses de la lumière, enfin, dues à l’utilisation de sons dont les zones de hauteur interfèrent entre le médium et l’aigu.
Métamorphose du vide
Quelque chose devient forme, chaleur, lumière, mouvement, vibrations corpusculaires anarchiques. Tout est “énergie d’existence”. En opposition à Lumière noire ce mouvement use de sons timbrés et propose des couches de colorations qui se superposent ou s’enchaînent. La dynamique interne de ces couches, dont les hauteurs se répartissent entre une zone très grave et suraiguë, est masquée par la présence de sons vibrés plus ou moins accentués, à des vitesses variables. La lumière est présente à travers un long continuum de vibrations de plus en plus compactes qui se métamorphosent en accumulations harmoniques. Elles-mêmes dilatées, contractées, elles engendrent des jeux de couleurs très brefs, des glissements de masses sonores plus ou moins complexes, des itérations d’évènements ponctuels qui se succèdent selon des temps de vitesse accelerando-lents-réguliers. Suite à ce peuplement progressif et continuel du vide, la fin de ce mouvement annonce à travers une mélopée, quasi mélodique, la suprême consécration de ces longues et lentes transformations : les signes de la vie.
Signe de vie
C’est l’apparition d’une planète, la nôtre, sur laquelle s’organise une “logique du vivant”. De l’amibe à l’homme (à peine né) tout est manifestement signe de la vie, d’un jeu auquel participent tous les éléments de la métamorphose. Ce dernier “instant” dans la Création est paradoxalement le plus long par rapport aux deux précédents. Son exploration permet de découvrir davantage d’étapes. Le matériau sonore se concrétise, entendant par là qu’il se rapproche de ce que nous savons auditivement reconnaître. Musicalisés, ces sons s’articulent entre eux à travers des formes rythmiques, par traitement de leur timbre. D’abord incertains et fragiles, ils se dérobent à toute mise en forme individuelle. Le souffle, sous tous ses aspects, répète son élan avant d’exister selon un mode d’échange avec son environnement. L’eau sous son apparence la plus réduite engendre des micro-melodies à travers des formes répétitives. Il en est ainsi du monde végétal, animal : autant de divisions qui s’induisent les unes les autres pour qu’enfin s’en déduise celui que nous sommes dans la réalité musicale et sonore de cette “création”.
Bernard Parmegiani.