Forces attractives de mon enfance (voire même mieux, celle que j'ai toujours voulu avoir !) Journal est en fait une pièce très autobiographique.
Elle se divise en quatre sections : L'enfance, L'amour, La mort, Après la mort. Elle est principalement inspirée par le fait que pendant la majeure partie de mon enfance, je n’ai cessé de rechercher ma propre mère, que j’imaginais être quelque chose comme Polonaise, [par des] concepts mystiques que je tiens également de mon enfance alors que Noël était un événement important, et dans laquelle la réalité n’était pas celle que je vivais, en fait, mais une réalité dont j’avais été extrait d’une étrange façon. Dans son ensemble, mon monde musical fait partie d’un royaume défini et illuminé pas les autres, ceux-ci était plus subtils. En écrivant la pièce, j’ai constamment senti une présence qui voulait que j’écrive cette musique-là, en particulier. Des rêves de musique me sont venus de façon si inhabituelle que j'ai dû les traduire avec mes outils humains ! Il y a toujours une différence entre la pensée pure et la musique. Des paroles sont venues avec la musique et, en fait, elles ajoutaient parfois une dimension cosmique, ou, mieux encore, elles l'expliquaient d'une façon bien particulière. La vie pour moi est une recherche constante de pureté, et quelques étapes vers une désincarnation de mon être. Dès le début de la vie, à travers les jeux de l'enfance, on rencontre des personnages mystiques comme Merlin, et tout le jeu de la vie se joue dans l'harmonie universelle avec une conscience aiguë, presque involontaire, une conscience d'une autre existence, parallèle à la nôtre ! La bataille de Jabberwocky est, bien entendu, un rite de passage, comme les trois questions de Merlin.
L'enfance se base sur six mélodies d'une complexité croissante, la dernière étant un contrepoint à quatre voix. Cette partie s'attarde à la structure poétique de la musique. Sa forme suit une structure de type associatif : le texte m'a amené dans des constructions spécifiquement musicales et la musique, dans le texte lui-même ! Déjà dans cette partie j'utilise le Sprechgesang. Pour moi le texte parlé est à la limite de l'expression, parce qu'il s'agit de parole rythmée avec des inflexions écrites ; il en devient une réflexion sur la musique « chantée » elle-même ! Il recrée en effet le monde intérieur, le monde chanté appartenant sous certains aspects au monde de la communication, au monde des signes. En fait, il y a, dans toute la pièce, tout un éventail d'émissions vocales oscillant entre ces deux extrêmes.
La deuxième partie, L'amour, commence par l'appel des noms des grands amoureux. Cette section est dynamique et dramatique, avec un début centré sur la tierce majeure. À travers toute l'œuvre, vous trouverez deux autres concentrations de ce type, une sur le mouvement de deux accords et l'autre sur une mélodie.
L'amour porte d'un côté sur le développement dramatique (la quête de l'amour et sa découverte) et, d'un autre, sur une structure musicale bien plus stricte évoluant à travers plusieurs unités musicales et dramatiques. De toutes les parties de l'œuvre, c'est la plus « terre à terre ». La quête de l'amour allant de la Bible au bordel. Figée dans le temps, la solitude, la peur. Les personnages de l'enfance ou leurs incarnations apparaissent tout de même ! Mais après la quête, on trouve effectivement l'amour : la mélodie de l'amour cosmique est chantée à la fois par le chœur et les solistes.
La mort est précédée par une concentration sur un mouvement : une oscillation entre deux accords et l'évocation du poète Mayakovsky. (Comme vous le savez, bien souvent dans le spiritualisme, les âmes qui tentent d'entrer en contact avec les vivants sont celles qui se sont suicidées).
La lumière du monde extérieur s'éteint graduellement et celle du monde intérieur commence à briller...
Cette troisième section est d'une structure évidente, c'est-à-dire qu'elle présente des sections très opposées et clairement délimitées. La moitié est basée sur un accord de douze notes, parfois transposé un demi ton plus haut. Ça et là, des réminiscences de la composition elle-même apparaissent et doucement, de plus en plus de lumière. Il y a aussi un souvenir personnel : « Luceat » qui est basé sur une mélodie que j'ai écrite il y a plus de huit ans ! Quelque peu méditative mais toujours transportant certains archétypes de la mort (Requiem, une longue monodie sur « In Paradisum » (comme un fil conducteur à travers la première partie), des pleurs, des prières), elle est en fait une référence à notre propre passé médiéval, mais transposée dans un dialecte qui glisse doucement des ténèbres vers la lumière. Au moment où la musique s'ouvre à la lumière, elle le fait sur une citation du contrepoint de L'enfance (bien que plus lente et plus grave). Ainsi, le cycle de la vie est complété. Nul besoin de préciser que ce mouvement continue vers l'éternité !
Ensuite vient la mélodie de la « lumière », s'ouvrant à la conscience ; l'âme erre à travers le cosmos et ses multiples dimensions. C'est là la concentration finale : sur une mélodie !
Après la mort demeure inachevée, ou mieux encore, se développe dans le silence qui suit. Les mots « come, let's go—ya » sont en fait une invitation vers des sphères plus raffinées et plus subtiles de l'univers…
Claude Vivier.