La musique est partout. Dans les casques, les ordinateurs, les supermarchés et même les ascenseurs. Cette convocation incessante ne l’a-t-elle pas vidée de son essence ? Le silence ne l’a-t-il pas détrônée au titre de « vertige moderne » ? C’est la théorie explorée par Pascal Quignard dans La Haine de la musique. Un curieux objet littéraire, entre essai, méditation et confession, dont Benjamin Dupé orchestre, avec liberté, la transposition scénique. Par fragments, par extraits qu’il fait entrer en collision avec sa propre composition. Car il ne s’agit pas d’illustrer le texte de quelques notes, mais bien de faire de la musique son partenaire à part entière. C’est de leurs accords et de leurs désaccords que naît le spectacle, de leurs frictions que s’ouvre la possibilité d’une autre écoute. À l’hypothèse d’un désamour évoqué par l’auteur, Benjamin Dupé répond par le seul acte possible pour un compositeur : faire sonner, c’est-à-dire toucher l’auditeur au plus intime. Car il se trouve justement que « les oreilles n’ont pas de paupières ».
Laurence Perez, site du compositeur.
En regardant mes dernières pièces, je me rends compte que je suis enclin à confronter la musique et le « mot sur la musique », à les transformer l’un en l’autre, à les faire se répondre. Ce n’est sans doute pas un hasard si La Haine de la musique m’a toujours accompagné, de près ou de loin. Je me suis souvent posé la question de partager ce livre en l’adaptant pour la scène ou le concert.
Sous la forme de petits traités, regroupant chacun aphorismes et courts textes, l’ouvrage de Pascal Quignard déroule une réflexion qui interroge les rapports entre la musique et la nuit, la musique et la mort, la musique et les origines de l’homme. Dans une langue à la fois poétique et philosophique, l’auteur invente ou ressuscite des concepts tels que l’écoute comme une alerte animale, le concert comme un rituel chamanique, le son comme une donnée existentielle irréductible, porteuse, en cela, de la souffrance humaine.
Au-delà de la dénonciation de l’omniprésence lénifiante de la musique, consé- quence de sa reproduction électrique à l’infini, c’est bien la troublante expérience de l’inouï, sa valeur d’étrangeté première que sublime Pascal Quignard. C’est tout un fondement qui est apporté à une certaine expérience de l’écoute : celle que je désire précisément, en tant que compositeur de musique contemporaine, susciter chez l’auditeur.
L’expression de l’intelligence peut être jubilatoire, émouvante, voire drôle. Il s’agit donc bien d’un jeu, même si les joueurs ne sont pas à égalité. Comme toujours dans mon travail, c’est une dramaturgie musicale – une dramaturgie de l’écoute – qui détermine, convoque et organise l’ensemble des matériaux. Ainsi, les mots de Quignard sont d’abord un prétexte de travail, ils servent ensuite concrètement au contrepoint, ils sont au final, symboliquement, un résonateur de musique.
Ce qui est donné à entendre, c’est un concert.
Ce qui est donné à voir, c’est comment la situation de concert provoque la pensée. Ceci posé, il y a bien sûr des points d’accord entre les deux mondes qui rendent cette visite du texte par la musique opportune et féconde.
Benjamin Dupé, ManiFeste 2015.