Commandée par le musée d'Orsay, l'oeuvre a été conçue pour le film que le chorégraphe et metteur en scène Daniel Larrieux a consacré à Charles Nègre, un des grands photographes français du XIXe siècle. Le film est réalisé au départ à partir d'une photo de Charles Nègre représentant une famille de ramoneurs passant, fatigués, sur le quai Bourbon.
L'oeuvre musicale s'inscrit dans la tonalité de cette photo qui est un témoignage poignant d'une existence au XIXe siècle, et aussi un témoignage de l'enfance au travail. Sachant par expérience que la musique doit avoir son rythme propre et que c'est ainsi seulement que l'on coïncide avec un rythme cinématographique, j'ai délibérément choisi un rythme plus lent que celui que Larrieux devait choisir pour le développement de son film.
D'autre part, j'ai veillé à avoir des couleurs sonores très transparentes, un peu éphémères où le trait ne serait pas absolument souligné. Si on veut respecter les virtualités de l'image il faut que la musique sache se mettre en retrait, qu'elle ne souligne rien en noir et parvienne à créer un climat à la fois homogène et constamment renouvelé. Ces impératifs conditionnaient de façon étroite la réalisation de mon projet. Il me fallait une harmonie extrêmement poignante, dépouillée ; des couleurs sonores qui soient tendues mais tendues du dedans, qui n'aient aucun éclat, qui soient absolument retenues, il me fallait des timbres qui soient bipolarisés, qui coïncident avec la couleur sépia, c'est-à-dire qui ne soient pas trop éclatants, surtout pas étincelants, mais qui ne soient pas trop sombres non plus, donc qui se meuvent dans une sorte de clair-obscur et d'incertitude permanents.
La couleur sonore de cette pièce est oscillante, elle comprend des facteurs de tensions qui sont par exemple la flûte basse, le hautbois d'amour, la clarinette contrebasse, le basson qui fait aussi le contrebasson. A ces éléments poignants j'ai ajouté un milieu sonore qui permet de mettre en valeur les vents et qui est composé d'un mélange de vibraphone et de guitare électrique. Le rythme lui-même devait respecter une dimension, une atmosphère impondérable. Il ne fallait jamais appuyer sur quoi que ce soit et en même temps permettre à l'espace de se renouveler de l'intérieur et d'avoir une certaine fluence, une certaine transformation. Voilà comment l'idée musicale est née, de la rencontre de ces contraintes esthétiques, historiques et techniques.