Le Deuxième Quatuor de Schoenberg, en dépassant les frontières normatives du quatuor à cordes en tant que genre traditionnel, a pris une place unique dans l'évolution musicale du début du vingtième siècle. Dans ce contexte, l'adjonction d'une composante vocale est d'une importance essentielle. Elle ne sert pas uniquement à accroître la clarté des possibilités d'expression, mais souligne aussi la symbiose entre modulation du langage et substance musicale.
Quelque quatre-vingts années plus tard, cette relation de fertilisation et de renforcement réciproques ne va plus de soi ; dès lors, quiconque pratique un réexamen de ce genre « élargi » se penchera, à plusieurs titres, sur les deux entités fondamentales texte/voix et voix/quatuor. De la même manière, le rejet radical, mais encore linéaire pour l'essentiel, d'un système d'hypothèses globalement donné, le choix d'un monde nouveau, oscillant librement, quiconstitue un phénomène unique dans l'œuvre de Schoenberg, a laissé place à un faisceau sensiblement moins uniforme de conditions stylistiques et à une conscience plus élevée de la nature complexe du langage. Mon quatrième quatuor s'efforce d'aborder et d'examiner certains de ces problèmes.
Comme chez Schoenberg, il y a quatre mouvements, deux avec voix chantée, les autres pour quatuor seul. Les textes utilisés sont des « déconstructions » réalisées par le poète expérimental américain Jackson MacLow des Canti d'Ezra Pound. Les « filtrages » permutationnels rigoureux réduisent cette œuvre de grande portée et aux multiples facettes à un substrat totalement squelettisé ; les mots sont déchirés et réduits à des syllabes aphoristiques isolées, l'attention se déporte du « comment » au « quoi » du matériau linguistique, ressuscité poétiquement de l'extérieur par un deus ex machina. Le mouvement final du quatuor montre la nature fondamentalement différente des mondes de la musique et du langage en les présentant l'un après l'autre, dans une succession où seules de très rares mesures se recoupent Le second mouvement, en revanche, admet la possibilité d'un traitement commun, mais au prix de la forme elle-même, qui se dissémine en un essaim de micro-organismes séparés par de brèves pauses.
Les mouvements sans voix chantée sont liés par une relation du même ordre tandis que le premier tente de créer un discours uniforme – même s'il est fugitif – en se fondant sur l'extension linéaire d'une idée de base unique, le troisième bride volontairement les élans spécifiques en les cernant par des mesures isolées et par les propriétés respectives des instruments.
La musique et le langage : comparables à bien des égards, manifestement hors de comparaison sous d'autres angles. C'est dans ce champ de tensions que réside la possibilité de l'expression.
Brian Ferneyhough.