Lors d’un entretien, en 2003, avec le psychologue Pierre Vermersch, chercheur au CNRS, portant sur l’activité de composition, j’ai pu parler pendant près de trois heures de la façon dont j’avais enchaîné les deux premiers sons de mon œuvre
Voi(Rex). Me rendre compte que j’avais eu des arguments pendant plusieurs heures pour évoquer ce seul fait, m’a démontré à quel point le simple fait de placer deux sons l’un près de l’autre était une action compositionnelle déjà extrêmement complexe. Cela m’a donné envie de revisiter cette opération fondamentale et un peu oubliée.
Au travers de l’histoire musicale, on peut observer que l’homme a inventé toutes sortes de rapports complexes entre les sons. J’ai souhaité, dans De la disposition, revenir au rapport le plus élémentaire qui soit : la juxtaposition. J’ai pour cela choisi un matériau fini, constitué d’une quarantaine de courts « objets sonores » déjà pré-composés, possédant donc un fort potentiel musical. Ces « formules » proviennent d’une autre de mes œuvres : (D')Aller, concerto pour violon de 1996, pièce relativement monodique. Elles sont juxtaposées de multiples façons, rejoignant en cela le « formulisme » utilisé dans la musique grégorienne du Moyen-âge. Les « formules » peuvent être superposées, mais elles ne subissent aucune transformation harmonique ni changement de durée, et ne sont jamais développées. Elles sont placées dans le temps d’une façon perpétuellement mobile, ceci dans une vision plus polyphonique. Alors que dans Envers Symphonie œuvre orchestrale de 2010, j’explore cette problématique du rapport entre deux évènements sonores dans son aspect composite : ceux-ci étant placés les uns à la suite des autres, dans De la disposition c’est l’aspect composé : les évènements placés les uns
au-dessus des autres, qui domine.
Si (D')Aller représente en quelque sorte la figure rhétorique de l’inventio puisque c’est dans cette pièce que se constituent les matériaux premiers, De la disposition a pour sujet celle de la dispositio car elle ne fait qu’agencer de multiples façons ces formules entre elles, sans autre opération musicale. Le simple fait de disposer, d’une façon différente et toujours variée, des éléments, semble être une action compositionnelle qui se suffit à elle-même. C’est ce qu’on trouve dans le « formulisme » grégorien : les « formules » modales y sont en nombre restreint, et chaque pièce les recombines pour donner un sens musical nouveau. C’était la principale méthode de composition de la musique médiévale monodique. Elle permettait, par les nouvelles mises en relation de ces « formules », de prendre de l’ancien pour faire du nouveau. Il est étonnant de voir comment le simple fait de mettre deux objets sonores côte à côte de multiples façons, peut changer leur relation et le sens qui en émerge. Dans De la disposition, je souhaite laisser aux sons la possibilité d’ « être ensemble » avant que de « communiquer ensemble » à l’aide des techniques du développement musical classique. Moi aussi, parfois, en tant qu’homme, j’aimerais ré-explorer le plus simple des rapports possibles : « être ensemble », avant que de « parler ensemble ».
À partir de ces formules, l’œuvre s’organise en trois mouvements s’appuyant sur les notions de lumière par l’harmonie, de mouvement par les trajectoires et les arabesques sonores, et de matière par les textures orchestrales.
De la disposition est un hommage à l’immense compositeur György Ligeti. Elle est dédiée à David Milnes.