…of Silence est la quatrième pièce d’un cycle d’œuvres pour instrument soliste et électronique de chambre commencé en 1995. Ce terme de mon invention, « électronique de chambre », a une double signification : sur le plan esthétique, je cherche une relation plus intime entre le soliste et d’autres présences invisibles (l’électronique), constituant ses partenaires musicaux. Sur le plan technologique, c’est le choix d’une diffusion du son uniquement frontale : tout se passe et provient de la scène.
Pour cette œuvre, nous avons utilisé un haut-parleur spécial, placé au centre de la scène, constitué de cinq petits haut-parleurs, autour desquels se place le soliste. Cet haut-parleur multiple, dérivé de recherches faites à l'Ircam depuis plusieurs années, nous permet de composer le rayonnement du son dans l'espace avec une précision infiniment supérieure à celle d’un haut-parleur classique, et donc de réaliser une polyphonie de rayonnements multiples.
Comme les autres œuvres du cycle, … of Silence est inspirée d’un poème de E. E. Cummings, le grand poète américain du XXe siècle, dont la poésie comporte une écriture « spatialisée » sur le papier. Ce poème, extrait du recueil « XLI Poems » (1925) et dont le titre exact est Lady of Silence, décrit le passage de la nuit (la dame du silence) vers la « cinglante beauté de l’aube » (the smarting beauty of dawn) à travers une panoplie d'images saisissantes. Cela correspond également à la structure de la pièce, qui commence avec le soliste caché derrière les haut-parleurs, et qui se termine avec le soliste devant dans une couleur brillante et lumineuse.
Quatre étapes (winsome [séduisant], sensible and quick [concret et rapide], scattering [en s’éparpillant] et smarting [cinglant]) accompagnent la forme,chaque étape étant associée à une position différente du soliste autour des haut-parleurs.
Sur le plan technologique, cette œuvre utilise pour la première fois Antescofo, un système développé par Arshia Cont, qui permet à l’ordinateur de suivre minutieusement ce que fait le soliste – y compris la vélocité instantanée à laquelle il joue – et, donc, d'adapter la réponse de la machine à chaque instant du jeu instrumental. L’ordinateur devient ainsi un véritable musicien. Je tiens à remercier l’exceptionnelle qualité du travail d’Arshia Cont, sans laquelle cette production n'aurait pas eu lieu, ainsi que son engagement sans limites. Je remercie également Serge Lemouton, Gilbert Nouno et Olivier Pasquet pour les modules de traitement du signal que nous avons utilisés et Nicolas Misdariis qui est à l’origine du concept du haut-parleur multiple. Leur aide a été précieuse. Un grand merci, enfin, à Claude Delangle, dont le jeu m’a beaucoup inspiré dans la recherche d'une couleur instrumentale poétique et captivante.
Je voudrais également exprimer ma plus sincère gratitude à Ichiro Nodaïra ainsi qu’au Concert Hall de Shizuoka et à la Fondation pour la promotion culturelle de Shizuoka pour avoir eu confiance en moi.
Marco Stroppa.
Lady of Silence
from the winsome cage of
thy body
rose
through the sensible
night
a
quick bird
(tenderly upon
the dark’s prodigious face
thy
voice
scattering perfume-gifted
wings
suddenly escorts
with feet
sun-sheer
the smarting beauty of dawn)
E. E.Cummings
Extrait de « XLI Poems », 1925.