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Simon Bainbridge

Compositeur britannique né le 30 août 1952 à Londres et mort le 2 avril 2021.

Si l’attrait du son est la première caractéristique de la musique de Bainbridge, la seconde - parce qu’on ne la perçoit pas tout de suite - est sa puissance illimitée. Quand on passe à une autre oeuvre, on commence à réaliser que cette puissance est double : puissance rythmique - même quand la musique est lente et manifeste une grande élasticité - et puissance d’esprit, une effervescence qui font que ce compositeur est constamment à la recherche de nouveautés. Si on l’ignorait, on aurait du mal à deviner que, mettons, le Quintette pour Clarinette et For Miles furent écrits par le même compositeur - et encore plus de mal à deviner qu’ils furent composés sur une durée de 18 mois seulement. Pour Bainbridge, le «style» est ce qui se produit quand on cesse d’accepter les défis.

On peut être tenté d’expliquer son esprit d’aventure par ses expériences précoces. Il naît à Londres en 1952 d’un père peintre originaire d’Australie installé à Londres et d’une mère américaine. Vers l’âge de 13 ans, il suit les cours du Central Tutorial School for Young Musicians (à l’époque, il joue de la clarinette), où il rencontre Oliver Knussen avec qui il établit une amitié durable. Il a la chance d’entendre les orchestres de Londres : Boulez y répète La Meren 1965, Colin Davis prépareLe Sacre du Printemps. C’est aussi l’époque où, sur une période de deux ou trois ans, on pouvait entendreGruppen de Stockhausen et les oeuvres majeures de Schoenberg, Berg et Webern, ainsi que de nouveaux groupes et compositeurs : le London Sinfonietta et Harrison Birtwistle, les Pierrot Players et Peter Maxwell Davies. Le jeune Bainbridge était là, absorbant tout.

A l’instar de nombreux autres musiciens d’une génération de Britanniques douée, il suit les cours de John Lambert au Royal College of Music entre 1969 et 1972. Tout en fréquentant cette école, il connaît un départ précoce lorsque son Spirogyra (incorporé plus tard dans Three Pieces for Chamber Ensembles) est interprété au Festival d’Aldeburgh 1971. L’année suivante, son Quatuor à Cordes est créé à Londres par le Yale Quartet, dont l’altiste de l’époque n’est autre que Walter Trampler. Trampler commande son Concerto pour Alto (1976), son premier morceau pour orchestre. Pendant ce temps, Les rapports de Bainbridge avec les Etats-Unis se renforcent durant les étés 1973 et 74 qu’il passe à Tanglewood, où Gunther Schuller dirige les cours de composition. Il revient aux Etats-Unis pour un an en 1978-79 dans le cadre d’une bourse du bicentenaire, puis retourne à Londres, stimulé par la culture vivante de la nouvelle musique de Manhattan.

Bainbridge intègre notamment la «process music» de Steve Reich, quoique son intérêt pour les formes autoreproduites sont déjà évidentes dans Spirogyra, tout comme la fraîcheur et la vigueur de son écriture pour solistes et ensembles instrumentaux. Son goût pour le son, le toucher et la liberté du jazz remontent également à ses premières années. Et même dans les oeuvres qui se rapprochent le plus de son séjour à New York, et donc de Reich - oeuvres telles que Music for Mel and Nora pour hautbois et piano (1979) - les arpèges tournantes ne demandent qu’à rayonner dans diverses directions. De manière caractéristique, il s’éloigne des motifs stables et des accords familiers, et son remaniement de Music for Mel and Nora - en Concertante in Moto Perpetuo pour hautbois et neuf musiciens (1983) - développe encore l’harmonie. Avec à-propos, il a décrit la version remaniée comme «inflexible et continue» et déclaré qu’«elle était dédiée à ma fille Rebecca âgée alors de deux ans comme une affectueuse étude de caractère».

Parmi les autres oeuvres du début des années 1980, citons Landscapes and Magic Words pour soprano et ensemble (1981), créé par son épouse Lynda Richardson ; The Path to Othona (1982), étude de paysage atmosphérique qui a trouvé sa place comme final du Three Pieces for Chamber Ensembles ; et Fantasia for Double Orchestra (1983-84), où Bainbridge fait enfin appel - de façon spectaculaire - aux moyens importants que procure un orchestre. Fantasia est de la musique à grande échelle. Seul un compositeur à l’imagination hardie pouvait donner un nouveau départ en commençant sur le mi bémol tenu de The Ring, et la division de l’orchestre en deux groupes identiques, placés l’un en face de l’autre, permet de magnifiques mélanges et échanges. Cette oeuvre constitue l’accomplissement majeur de Bainbridge à l’époque où il est compositeur résidant à Southern Arts (1983-85). Depuis lors, il habite Londres, enseigne au Guildhall School of Music and Drama, au Royal College of Music, et est régulièrement invité à l’Université de Cardiff.

Fantasiaest suivi d’une sorte d’accalmie, due en partie à l’implication simultanée de Bainbridge dans deux moyens d’expression pourTrace, créé en 1988 : le ballet et la musique «live» sur ordinateur. Mais depuis la fin des années 1980, il compose avec plus de liberté et plus que jamais. La musique vocale, rarement abordée auparavant, devient un élément essentiel. En outre, l’orchestre est presque une constante, deDouble**Concertopour hautbois et clarinette (1990),Caliban Fragments and Aria(1991) etToccata(1992) à «Ad Ora Incerta» - Four Orchestral Songs from Primo Levi(1994). Parallèlement, il poursuit sa vieille passion pour les petits ensembles des genres les plus divers : violon et marimba dansMarimolin**Inventions(1990), ensemble avec viole dansKinneret**Pulses(1992) etHenry’s**Mobile(1995), formation classique dansClarinet**Quintet(1993), trompette soliste avec sextuor dansFor**Miles (1994).

Plusieurs de ces oeuvres sont le fruit de relations d’amitié avec certains musiciens. Bainbridge a composé le Double Concertopour Nicholas Daniel (qui avait enregistréConcertante in Moto Perpetuo), qu’il interpréta avec son épouse, Joy Farrall. C’est aussi pour Daniel qu’il a écritMobilepour cor anglais et piano (1991), en tant que contribution à un concert de la BBC à la mémoire de Janet Craxton. LeClarinet**Quintetfut encore composé pour Farrall. A l’âge de 78 ans, Walter Trampler reçut en cadeau une version développée deMobile pour alto et quatre musiciens (1994), constituant l’une des pièces écrites pour le Composers’ Ensemble.

Aussi étonnamment diverses que soient ses oeuvres postérieures à 1990, elles reposent sur quelques traits communs et sont marquées par l’habituelle qualité du son et de l’énergie. L’un de ces traits consiste en la manière dont Bainbridge construit la forme au moyen de répétitions modifiées - technique que l’on retrouve avec une clarté exemplaire dans Mobile et For Miles, oeuvres d’où se dégage quelque chose d’élégiaque.For**Milesest dédié à Miles Davis et rend hommage à la collaboration de ce dernier avec l’arrangeur Gil Evans. La première moitié du morceau - grave et monumentale - est une suite de variations qui se déploient sur une lente et courte mélopée pour trompette enchâssée dans des harmonies de bloc. Dans la seconde moitié, la même structure entre en fusion et se développe. L’image sur laquelle reposeMobileest un instant du mouvement final duChantdela**Terrede Mahler, qui surgit comme le résultat d’un processus d’évolution ininterrompue. Sur une plus grande échelle, laToccata répète et complique une mélodie houleuse, rapide et splendide. Ce n’est pas un morceau facile à exécuter pour un orchestre d’élèves, car il mettrait certainement à l’épreuve la plupart des ensembles professionnels. Mais comme pour toute musique de Bainbridge, ils éprouveront du plaisir à s’en imprégner et une grande satisfaction à l’interpréter avec justesse.

L’un de ses autres centres d’intérêt concerne les différents rythmes de pulsation se produisant simultanément, comme dans Kinneret Pulses. En écrivant pour l’alto, il compose pour des sons particuliers sans se préoccuper de la tradition. A cet égard,Mobileest une oeuvre à part dans son répertoire par son lien explicite avec une oeuvre du passé. Pour le rythme et l’harmonie, les anciens instruments doivent émouvoir et sonner comme les nouveaux tout en traduisant les effets de la lumière miroitant à la surface de l’eau tels que Bainbridge les a ressentis sur les bords de la Mer de Galilée. Un processus musical abstrait est associé à une impulsion lyrique qui ressort peut-être davantage dans les pièces plus courtes - notammentFrom an English Folk Song pour soprano et quatre musiciens (1992), qui met en parallèle une chanson narrative et un récit musical allant de la simplicité à l’étrangeté pour s’achever en revenant brièvement à la simplicité.

Les poèmes choisis par Bainbridge dans d’autres pièces sont plus picturaux que narratifs. Aussi, la dynamique de sa musique se focalise progressivement sur l’image, l’émergence de quelque chose de dense et particulier qui ressort d’un paysage sonore plus général. C’est le cas, par exemple, de la pièce chorale non accompagnée Herbsttag, dans laquelle une méditation de Rilke sur l’automne fait appel à la magnificence en contre-chant et à l’ouverture en mi bémol mineur de la Fantasia for Double Orchestra. C’est aussi le cas de l’arrangement éclatant pour mezzo-soprano du discours de Caliban «The isle is full of noises» dans Caliban FragmentsandAria, oeuvre d’une grande sensualité, même pour ce compositeur.

Tous les éléments contenus dans les récentes compositions de Bainbridge - sensualité, lyrisme, concentration sur des images, changement et croissance par la réitération, puissance de la mélodie, chevauchement des pulsations, passion pour l’orchestre - s’allient dans son «Ad Ora Incerta» - Four Orchestral Songs from Primo Levi, son oeuvre la plus importante jusqu’à présent. Les poèmes - écrits durant le premier hiver suivant la fin de la Deuxième guerre mondiale - sont réchauffés par la musique, et tout spécialement par l’arrangement destiné à une mezzo-soprano à la voix intense (c’est encore Mahler - avec le même mouvement, «Der Abschied» - qui semble être la source d’inspiration) accompagnée d’un basson. Comme dans son Double Concerto, Bainbridge profite de l’étroite interaction qui règne entre deux lignes au centre d’un jeu plus varié et fuyant. Il respecte également l’absence de sentimentalisme dans le ton de Levi tout en procurant quatre paysages musicaux distincts : un hymne grandiose de réapparition et d’intensification, un mouvement vigoureux pour solistes inversé par rapport à un arrière-plan de cordes, un scherzo tremblotant d’une déclamation insistante, et un final dramatique. Il s’agit d’une symphonie avec voix - ou plutôt pour deux voix, car le basson a un rôle égal à celui de la mezzo-soprano, sa ligne étant aussi galbée et nuancée.

Si Bainbridge a trouvé là une nouvelle amplitude, voire une nouvelle maturité, il paraît improbable qu’il réfrène son impatience à aller de l’avant. De nouveaux projets se profilent à l’horizon : un concerto pour cor destiné à Michael Thompson et le London Sinfonietta. Par ailleurs, il a l’intention de composer un concerto pour violoncelle, un morceau de théâtre musical, une pièce pour percussions et instruments électroniques, ainsi que de la musique pour voix. Une chose est sûre : l’avenir semble très prometteur.


© Ircam-Centre Pompidou, 2007