Pour sa cinquième création pour l’Ensemble intercontemporain, Aureliano Cattaneo offre à la contrebasse de Nicolas Crosse une œuvre concertante mâtinée d’électronique. Le compositeur italien lève le voile sur les ressorts intimes de cette nouvelle partition.

Un véritable compagnonnage vous lie à l’Ensemble intercontemporain depuis 2006. Comment cela nourrit-il votre métier de compositeur ?

Entretenir une forme de continuité est une merveilleuse opportunité d’approfondir les qualités fantastiques de chacun des solistes. Dans le même temps, je crois qu’une telle continuité et une telle régularité sont pour un ensemble l’occasion d’en apprendre davantage sur la musique du compositeur avec lequel il collabore, en élargissant à chaque fois la perspective.

Cette nouvelle œuvre est composée pour contrebasse, ensemble et électronique. Pourquoi cet effectif en particulier ?

J’ai récemment composé quelques pièces dans lesquelles la contrebasse jouait un rôle déterminant : sasso nell’oceano (2017), par exemple, une pièce pour contrebasse et huit voix. Même dans deserti, la pièce que j’ai imaginée pour l’Ensemble intercontemporain dans le cadre de la première soirée « In Between » en 2019, je lui confie une importante cadence. Le moment était donc venu de véritablement placer la contrebasse au centre de l’attention, afin de faire aboutir toutes ces recherches.

Vous avez déjà travaillé avec Nicolas Crosse pour deserti, que vous mentionnez. Y a-t-il quelque chose, dans son jeu, qui vous a séduit plus particulièrement ? Quels aspects de l’instrument voulez-vous approfondir avec lui ?

J’ai été particulièrement impressionné par sa précision, par sa capacité à produire une vaste palette de nuances timbrales, mais aussi par ce qu’il dégage lorsqu’il joue de sa contrebasse, son body language. J’y ai vu, et entendu, une fusion complète de l’instrumentiste et de l’instrument. Mon idée principale pour cette partition est donc d’engager avec lui une collaboration très étroite, pour lui écrire une pièce « sur mesure ».

C’est votre quatrième création concertante. Avez-vous une idée du dialogue que vous voulez établir entre le soliste et l’ensemble ? L’électronique jouera-t-elle un rôle dans ce dialogue ?

J’ai fini de composer mon deuxième concerto pour violon et orchestre. J’ai le sentiment que la forme du concerto est particulièrement ardue, et ce pour plusieurs raisons : d’abord, bien sûr, le poids, considérable et terriblement lourd, de la tradition que l’on porte sur ses épaules ; ensuite, l’équilibre acoustique si délicat à trouver entre soliste et masse orchestrale, sans parler de toute la dialectique entre individu et groupe qu’il faut gérer. Dans cette nouvelle pièce, je veux ajouter à cette dialectique quelques couches supplémentaires de complexité, au moyen de l’électronique. Une idée serait d’utiliser des transducteurs, pour injecter le son de l’électronique directement dans l’instrument – une solution technique à laquelle j’ai déjà eu recours pour le piano dans corda (2015-16). Je voudrais même approfondir ce principe et je pense utiliser les transducteurs de deux manières différentes. D’une part, j’aimerais avoir deux contrebasses supplémentaires que j’utiliserais en tant que haut-parleurs, comme une forme de « double » ou de « fantôme » du soliste. D’autre part, je voudrais injecter le son de l’ensemble dans la contrebasse solo de manière à ce que le soliste soit comme « possédé » par l’ensemble.

Vous entretenez une très forte relation avec le texte écrit, qu’il soit poétique, littéraire ou politique. Y a-t-il ici encore un texte sous-jacent à l’imaginaire de la partition ?

En évoquant à l’instant le dialogue concertant, j’ai utilisé les mots « double » et « posésédé ». En réalité, ces idées sont empruntées au roman de Dostoïevski, Le Double. Un texte âpre et visionnaire, qui évoque le dédoublement de la personnalité et la maladie mentale. L’idée du « double » est pour moi une obsession. J’ai même composé un opéra à propos d’un minotaure prisonnier d’un labyrinthe de miroirs, ainsi qu’une pièce pour deux ensembles identiques, dédiée à Janus, le dieu aux deux visages.
Laissez-moi souligner, pour conclure, que l’instrument soliste de cette nouvelle pièce pour l’Ensemble intercontemporain s’appelle, en anglais, une « double » basse…

©Ircam-Centre Pompidou

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