Il y a dans une île au large du Japon, une montagne au pied de laquelle serpente une rivière. Au temps jadis, vivaient au bord de cette rivière deux paysans. L’un avait sa maison en aval, l’autre en amont, aussi les appelait-on le voisin du haut et le voisin du bas.

Un jour, alors que l’hiver était particulièrement rude, les deux voisins tendirent leurs filets dans la rivière. Lorsque celui d’en haut voulut voir ce qu’il avait pêché, il ne trouva que des racines et des branches de saule. Curieux de nature, il voulut savoir ce que son voisin avait attrapé : le filet retenait un poisson. Il hésita, puis comme la faim le tenaillait, saisit le poisson et déposa à la place le bois mort qu’il avait trouvé. Peu après, le voisin du bas voulut voir à son tour ce qu’il avait pêché. Quand il découvrit l’étrange capture, il en prit son parti :

- Ces branches sècheront assez vite si le soleil apparaît et je n’aurai pas besoin d’aller chercher du bois dans la montagne !

Quand le vieillard voulut couper les branches, il prit une hache et s’attaqua à une racine de saule particulièrement dure et d’une forme étrange. Mais à peine la hache l’eut-elle heurtée que la racine se brisa en deux comme d’elle-même. Le vieillard se pencha : un petit chien blanc se tenait devant lui et aboyait doucement. Il appela sa femme pour lui montrer ce miracle.

- Regarde ! En se cassant cette racine a donné naissance à un petit chien blanc !

La grand-mère prit l’animal dans ses bras et dit à son mari :
- Nous n’avons pas d’enfant, nous pouvons donc nous occuper d’un petit chien !

Le temps passait, l’animal était bien nourri et bien soigné, il devint un chien robuste. Un matin, comme le grand-père s’apprêtait à se rendre au champ, le chien lui barra le passage et se mit à parler :
- Grand-père, n’allez pas au champ aujourd’hui. Attachez une corbeille sur mon dos, prenez une pioche et allons dans la montagne !

Le vieillard appela sa femme pour lui raconter ce miracle.
- Ma chère épouse, notre chien m’a parlé !

Et il rapporta ce qu’il lui avait dit.

- Si notre chien désire que tu ailles dans la montagne, va dans la montagne ! Je vais préparer des boulettes de riz que vous emporterez.

Le grand-père attacha une corbeille sur le dos du chien, prit la pioche puis ils partirent en direction de la montagne. La route était longue, le vieillard avançait difficilement. Le chien s’arrêta et parla de nouveau :

- Grand-père, posez la pioche et le repas dans la corbeille, je vais les porter.

- Je te remercie de ton aide mais ce serait trop lourd.

- Comme vous m’avez bien nourri, j’ai des forces !

Et le grand-père finit par céder, il posa la pioche et le repas dans la corbeille puis ils poursuivirent leur chemin. La route était longue, le grand-père avançait péniblement. À nouveau le chien s’arrêta.

- Grand-père ! Asseyez-vous sur mon dos, je vous porterai.

- Mais mon poids te briserait le dos !

- Grand-père ! Grâce à vous je suis solide et fort, je peux vous porter sans peine.

Le grand-père finit par céder et s’installa sur le dos du chien qui le porta comme s’il ne pesait pas plus qu’une plume. Arrivé au sommet de la montagne, l’animal regarda autour de lui, puis s’arrêta devant un immense érable.
- Grand-père, prenez la pioche et creusez au pied de cet arbre !

Le vieillard saisit la pioche, commença à creuser : bientôt apparut une grande jarre. Quand il regarda à l’intérieur, il vit qu’elle était remplie de pièces d’or ! Ébahi, le grand-père s’assura qu’il ne rêvait pas et remercia ce chien merveilleux.

Au logis, la grand-mère fêta leur retour puis prépara des boulettes de riz. Après le repas, le grand-père versa les pièces d’or sur une natte et commença à les compter. Il n’était pas encore arrivé à la moitié du tas que la femme du voisin du haut arriva en courant pour demander quelques charbons de bois incandescents afin d’allumer son feu. En voyant le trésor, ses yeux se mirent à luire.
- Mais comment vous êtes-vous procurés ces pièces d’or ?

Et les deux vieux racontèrent l’histoire. À peine eut-elle entendu la fin qu’elle en oublia le but de sa visite et courut rapporter la nouvelle à son mari. Puis elle soupira :
- Qu’ils ont de la chance ! Tu devrais leur demander de te prêter leur chien !

Le lendemain matin, après avoir emprunté le chien du voisin du bas, le voisin du haut attacha la corbeille sur le dos de l’animal, s’y installa confortablement avec la pioche et les boulettes de riz puis ils partirent en direction de la montagne. Comme la route paraissait bien longue, le vieillard se mit à manger toutes les provisions. À la lisière de la forêt, le chien s’arrêta. Aussitôt, le voisin du haut demanda où il fallait creuser. L’animal resta muet. Le vieillard s’impatienta.

- Dis-moi où, dis-moi où je dois creuser ! Vas-tu parler ?

Devant tant d’insistance, le chien désigna un endroit. Le vieillard saisit la pioche et se mit au travail. Bientôt il aperçut une grande cruche. Mais quand il regarda à l’intérieur, il ne découvrit que des détritus et des vers. Fou de rage, il jeta la pioche en direction du chien blanc et le tua sur le coup.

Lorsque le voisin du bas voulut récupérer son chien, le voisin du haut lui raconta l’histoire sans rien lui cacher. Accablé de douleur, le voisin du bas se rendit à l’orée de la forêt, rapporta le cadavre, l’enterra près de la rivière et planta une verge de saule sur le tombeau. Chaque jour, en compagnie de sa femme, il se rendait près de la tombe pour y pleurer son chien fidèle.

Une année passa. Maintenant se dressait sur la tombe un saule majestueux. Un matin, comme le grand-père était assis sous l’arbre, il s’endormit et se mit à rêver : il lui sembla entendre une nouvelle fois la voix de son chien blanc.
- Grand-père ! Prenez une scie, coupez le saule et faites du meilleur morceau un mortier pour piler le riz.

Le grand-père courut vers sa femme pour lui raconter ce miracle. La vieille écoutait avec tendresse.
- Si notre chien désire que tu fabriques un mortier, alors, fabrique un mortier !

Le grand-père coupa l’arbre, choisit le meilleur morceau, en fabriqua un beau mortier et le présenta à sa femme. La vieille y versa une mesure de riz, et commença à le piler. Au premier mouvement, la mesure avait doublé, au deuxième les deux mesures de riz étaient devenues quatre, au troisième il y en avait huit et ainsi de suite jusqu’à ce que les grains débordent du mortier et remplissent toute la cuisine ! Comme ils étaient en train d’ensacher le riz, la femme du voisin du haut arriva en courant pour demander quelques charbons de bois incandescents afin d’allumer son feu. En voyant toutes ces provisions elle s’étonna.
- Où avez-vous fait une récolte aussi fructueuse ?

Et les deux vieux racontèrent l’histoire. À peine eut-elle entendu la fin qu’elle en oublia le but de sa visite et courut rapporter la nouvelle à son mari. Puis elle soupira :
- Qu’ils ont de la chance ! Tu devrais leur demander de te prêter leur mortier !

Le lendemain matin, après avoir emprunté le mortier, le voisin du haut s’empressa d’y verser une mesure de riz. Mais à peine sa femme commença-t-elle à le piler que la quantité réduisit de moitié. Et à chaque mouvement supplémentaire, leur récolte disparaissait. Fou de rage, le vieillard s’empara de l’objet, le brisa puis le brûla.

Lorsque le voisin du bas voulut récupérer son mortier, le voisin du haut lui raconta l’histoire sans rien lui cacher. Le voisin du bas étala sa veste par terre et ramassa autant de cendres qu’elle pouvait en contenir. Puis, tristement, il regagna sa maison.

Sur le chemin du retour, le vent soufflait violemment, la veste échappa au vieillard, et les cendres voltigèrent dans les airs, puis se déposèrent lentement sur les arbres ; à ce contact, les branches se mirent à fleurir ! Le grand-père appela sa femme pour lui montrer ce miracle. Alors qu’il lui contait son aventure, la grand-mère lui soumit une idée.
- Mon ami, tu sais combien le Prince adore les cerisiers en fleurs ! Alors emporte les cendres et éparpille-les dans son jardin.

Enthousiasmé, le grand-père prit la direction du palais. Il grimpa sur le plus haut pêcher et attendit patiemment. Peu de temps après, le prince sortit et remarqua le vieil homme perché dans l’arbre. Il fut encore plus intrigué quand ce dernier lui fit une étrange proposition :
- S’il vous plaît, ô Prince, votre jardin ne sera qu’un océan de fleurs.

Alors le grand-père jeta une poignée en l’air et les cendres voltigèrent au gré du vent, puis se déposèrent lentement sur les arbres : à ce contact, les branches des cerisiers se mirent à fleurir ! Médusé, le prince contempla son jardin avec émerveillement.

Les jours puis les saisons passèrent, l’histoire du vieil homme se répandit dans la campagne environnante et les paysans le nommèrent « L’homme qui faisait fleurir les arbres ».

Encore aujourd’hui, dans une île au large du Japon, alors que le prince et le château ont disparu depuis fort longtemps, on raconte qu’un arbre étrange se dresse non loin d’une rivière et qu’au milieu de l’hiver ses branchages foisonnent d’une multitude de fleurs.


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