Connaissiez-vous le travail de Georges Aperghis avant de travailler avec lui ?
Pierre Nouvel : Je connaissais (un peu) son travail depuis Avis de tempête que j’avais vu en 2005 et j’ai eu l’occasion de le rencontrer en 2015, peu après avoir vu Tourbillons. Je suis fasciné par la façon dont il mêle les matières musicales, sonores, textuelles et visuelles, et la façon dont en résulte une œuvre aussi sensible et poétique. Notre rencontre a eu lieu à Rome, alors que j’étais pensionnaire à la Villa Médicis, et que Georges était invité d’honneur du festival Controtempo. Je présentais en parallèle une série d’installations d’œuvres numériques dans le cadre de l’exposition consacrée aux pensionnaires. Georges commençait déjà à réfléchir à son projet Thinking Things, et l’échange des idées s’est fait naturellement.
Quelle a été votre démarche pour vous intégrer à son univers scénique et musical si particulier et qu’avez-vous voulu y ajouter de votre propre cru ?
Mon rôle dans l’élaboration de Thinking Things futavant tout de proposer des solutions techniques et artistiques afin de réaliser les dispositifs électroniques et numériques intégrés au spectacle. Il s’agit ici de concevoir des éléments robotiques, et de penser leurs interactions possibles avec les humains, mais aussi avec l’espace, le son, la lumière ou l’image. Ces dispositifs sont au cœur du projet et les échanges ont été nombreux au cours des différentes phases de création, avec Georges bien sûr, mais également avec Daniel Levy ou Olivier Pasquet. La question des sons produits par les robots, par exemple, ainsi que celle du rapport au travail de Georges, se sont posées assez tôt. Les robots que nous utilisons sur scène sont eux-mêmes conçus par d’autres machines-robots, des imprimantes 3D dont les bruits ont été échantillonnés afin d’être intégrés à l’électronique de certains passages musicaux.
Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez évoqué ensemble le « sujet » du spectacle ?
Le rapport de l’homme à la machine est un sujet passionnant, que j’avais déjà pu aborder via certains spectacles de Jean-François Peyret. Le sujet des « objets pensants » s’inscrit également dans le prolongement du travail de recherche que j’ai pu mener à Rome sur l’utilisation de matériaux dits « intelligents » dans un contexte scénographique. Mais cela reste aujourd’hui un défi que de concevoir ces dispositifs et de réussir à les contrôler, dans le cadre d’un tel projet.
Justement : comment donner à voir sur une scène ces « objets pensants » ? Comment ce spectacle s’articule-t-il à votre travail de manière plus générale ?
L’enjeu de ce projet n’est évidemment pas scientifique, les enjeux ici sont artistiques, philosophiques ou poétiques. Nous abordons les thématiques liées à la robotique ou à l’intelligence artificielle, au moyen de dispositifs qui utilisent, certes, des technologies actuelles, mais qui restent théâtraux. C’est paradoxalement ce qui donne beaucoup de force et de liberté artistique à ce projet. La technologie présente sur le plateau se retrouve comme augmentée par la théâtralité et la musicalité à laquelle ils sont confrontés.
Vous avez déjà collaboré avec plusieurs compositeurs, sur des projets de diverses natures, on peut citer Pierre Jodlowski, Jérôme Combier ou Alexandros Markéas. Qu’est-ce qui vous attire dans la collaboration avec la musique d’aujourd’hui et ses créateurs ?
La musique contemporaine offre un terrain de création et d’expérimentation que l’on trouve difficilement ailleurs. Alors que le théâtre et l’opéra se réfugient le plus souvent dans le répertoire, la musique permet une collaboration avec des auteurs-compositeurs dès les premières phases d’écriture d’un projet. Ces collaborations, pour un créateur visuel, sont précieuses. Sans parler de cette culture des outils et technologies numériques qui nous est commune, et qui permet de belles interactions