Le titre fait référence au nom mythique donné par Sindbad le marin à l'île de Ceylan, qu'il découvre par le plus grand des hasards au cours de l'un de ses voyages. La notion de découverte accidentelle trouve une correspondance directe dans les formes déconcertantes de la musique : on dirait en effet que la pièce ne découvre les règles qui lui sont propres, les continuités spécifiques de son développement, qu'en butant dessus par hasard. Le concept de « serendipité » développé par Horace Walpole, cette « faculté de faire, grâce au hasard, des découvertes heureuses et inespérées » s'applique ici parfaitement. Le compositeur a lui-même confié qu'il se sentait dans une position analogue à celle de Sindbad, ballotté au gré des vagues, « rejeté, avec un peu de chance, sur des rivages toujours plus lointains et plus fabuleux, pour y découvrir les architectures imprécises mais imposantes de nos rêves collectifs ».

Si les premières œuvres matures de Murail (Sables, Mémoire/Erosion, Territoires de l'oubli) étaient avant tout caractérisées par une continuité d'évolution d'un radicalisme extrême et par une prédilection pour des processus se déployant en douceur, beaucoup de sa production récente a ensuite été définie par son exact opposé, à savoir une rupture de la continuité, des processus de fracture, et une absolue discontinuité. Serendib est la musique la plus discontinue de toute son œuvre jusqu'à ce jour. C'est une musique de l'inattendu, marquée par le refus de se stabiliser et, ce qui est inhabituel chez Murail, par une éviction presque totale des spectres harmoniques et des rythmes répétitifs réguliers.

Selon le compositeur, la musique est basée de loin sur des processus continus, mais ceux-ci servent de toile de fond à des « perturbations locales » quasiment constantes : de multiples « flashbacks » émaillent la musique, qui semble constamment repasser sur les mêmes structures et les mêmes gestes, mais avec subtilité, l'examinant à chaque fois sous un angle distinct et un point de vue renouvelé ; il existe ici des parallélismes avec les formes plus évidentes de « découpage » d'œuvres plus récentes comme Vues aériennes et particulièrement Allégories, encore que la forme plus discursive de cette dernière pièce implique, davantage que pour toute autre œuvre du compositeur, une écoute plus attentive et plus intense que jamais.

La structure entière est basée sur une séquence de cinq éléments en forme d'ondes de durées différentes, qui sont retravaillés, dilatés et compressés pour générer la musique dans son entier – ce qui fait que ces cinq éléments infiltrent tous les niveaux de la pièce. On retrouve cette caractéristique dans ce que l'on appelle la géométrie « fractale », dans laquelle les mêmes formes de base reviennent un nombre infini de fois pour être à chaque fois magnifiées sous un angle différent. Les proportions de ces cinq ondes ont même, dans une certaine mesure, servi à construire la forme globale, encore que l'auditeur ne manquera pas de noter que la musique se subdivise en quatre sections distinctes, et non cinq : le compositeur a pris la liberté de comprimer les deux dernières sections pour ne plus en faire qu'une, dans le souci de tenir compte de l'auditeur et de sa perception psychologique de l'évolution temporelle du discours musical.

L'univers sonore qui préside à Serendib est l'un des plus franchement colorés jamais conçus par le compositeur. Il est dominé par des spectres inharmoniques orchestrés en halos brillants de sonorités de cloches (l'orchestre figure une section percussive au registre étendu), associés à des figurations qui rappellent des chants d'oiseaux, ainsi que l'évoque la multiplicité des figurations des vents dans les aigus ; ce monde sonore étincelant est encore enrichi par l'intégration précautionneuse de deux synthétiseurs au sein de l'ensemble (commandés par un seul interprète) qui évoquent des sonorités variées de harpe et de cloches accordées en quart-de-ton, en même temps qu'ils produisent des spectres de modulation de fréquence.

©Ircam-Centre Pompidou

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