Pour le ciné-concert Chaplin Factory, Martin Matalon réunit trois moyen-métrages, emblématiques chacun d’une facette de l’œuvre du réalisateur britannique. The Vagabond (1916, Charlot musicien en français), est un parfait spécimen du Charlot romantique et pittoresque. The Immigrant (1917) explore la fibre plus sociale de Chaplin, tandis que Behind the Screen (1916) nous montre, dans une savoureuse veine Commedia dell’Arte, l’envers du décor de l’industrie du cinéma muet.
Depuis sa première musique de film pour Metropolis de Fritz Lang en 1995, Martin Matalon s’impose une ligne directrice : le refus de toute forme d’illustration musicale.
« Le tout, dit-il, est d’entretenir avec le film une forme de relation d’amitié, tout en gardant son indépendance. » Refuser l’illustration ne signifie donc absolument pas ignorer le film. La composition commence par une analyse de l’œuvre, notamment celle du montage.
Cela fait, dans chaque scène, Matalon cherche un ou plusieurs éléments susceptibles de déclencher la musique. Dans les muets burlesques, ce peut être le rythme d’un gag, l’énergie d’une poursuite infernale ou ces passages mélodramatiques, que Chaplin soudain court-circuite par l’irruption du comique. « Une fois ce déclencheur trouvé, continue Matalon, je travaille l’idée musicale en faisant abstraction du film, puis j’y reviens et, en faisant des allers-retours entre la partition et le film, je connecte les deux à l’aide de points de rencontre. Sans coller à l’image, cela suffit pour donner l’illusion d’être synchronisé tout le temps, tout en laissant la liberté de construire une véritable dramaturgie musicale parallèle, qui se tient par elle-même. » Et la grande forme nait alors de l’enchaînement de ces miniatures.
Si les trois films peuvent être visionnés individuellement, accompagnés de leurs musiques, Martin Matalon a conçu les trois partitions comme un arche formel unique, avec un effectif commun. Organisé autour du Trio K/D/M (percussions et accordéon), il lui adjoint une soprano, une clarinette, un violoncelle et un trombone, ainsi que l’électronique, développée à l’Ircam avec le réalisateur en informatique musicale Étienne Démoulin et Sylvain Cadars pour la diffusion sonore. « Dans le cadre d’un ciné-concert, l’électronique constitue un atout puissant pour pousser plus loin les timbres, la spatialisation, et organiser les plans sonores – c’est là, pour moi, que réside aujourd’hui la véritable polyphonie. »
À bien des égards, si le travail de la forme s’apparente, physiquement et naturellement, au montage, l’électronique est le domaine où le métier du compositeur qu’est Martin Matalon se rapproche le plus du travail du réalisateur et du chef opérateur de cinéma : il cadre le matériau, organise ombres et lumières, bouleverse les plans sonores pour développer la dramaturgie, en dialogue avec le film.