Comment se fait-il qu’un jeune compositeur espagnol, Hèctor Parra, demande à une physicienne d’écrire le livret de Hypermusic Prologue ?

Hèctor m’a envoyé un courriel après avoir lu mon livre intitulé Warped Passages: Unraveling the Mysteries of the Universe's Hidden Dimensions, destiné à un public plus large que celui des scientifiques. Hèctor a été séduit par les thèses que j’y développe sur l’univers physique et sur la géométrie de l’espace-temps. Il m’a fait part de son idée de traduire certains de ces concepts sous une forme musicale, et m’a demandé si je voulais participer au projet. Plusieurs artistes et créateurs m’ont d’ailleurs contactée après la sortie du livre, avec des réflexions souvent très intéressantes, mais celles d’Hèctor ont particulièrement attiré mon attention. Son idée d’utiliser la musique pour transposer différents courants de pensée m’a d’emblée fascinée par son côté novateur. Je me suis toujours demandée comment faire partager certains concepts mais je n’avais jamais pensé à la musique. Dès qu’Hèctor a lancé ce projet d’opéra très particulier, nous avons commencé à réfléchir aux possibilités qu’il offrait et nous avons découvert qu’elles étaient nombreuses et fécondes. J’ai beaucoup aimé sa musique et j’ai été emballée par l’idée qu’un traitement électronique pouvait servir à exprimer quelque chose d’aussi excentrique que les nouvelles dimensions de l’univers.

Quel est le thème du livret ?

Il traite des différences entre une personne qui se satisfait du monde tel qu’il est et de la perception qu’on en a aujourd’hui, et une autre qui ne s’en contente pas et veut saisir des dimensions encore ignorées. En un sens, l’œuvre questionne les moteurs de la créativité et de l’exploration de l’inconnu. L’œuvre est relativement courte – environ une heure – et ne met en scène que deux personnages, incarnant des points de vue opposés. La soprano, compositrice et physi­cienne, est une personne créative qui s’interroge sur le fonctionnement de l’univers. C’est également le cas du baryton, à la différence près qu’il se satisfait d’explications traditionnelles sur le sujet. Ils sont assez proches au début de l’histoire, mais leurs chemins se séparent lorsque la soprano décide d’explorer une nouvelle dimension afin de trouver des réponses à ses questions, et qu’elle découvre qu’elle n’est pas vraiment faite pour le monde qui l’entoure. Le livret évoque les raisons qui nous poussent à explorer l’inconnu, et ce que cela peut nous apporter. Il traite aussi de la communication entre les êtres, incarnés par ces musi­ciens et scientifiques qui cherchent à saisir « l’invisible » et tentent de faire partager leurs découvertes.

Pensiez-vous ainsi faciliter l’accès aux nouvelles théories dans le domaine de l’astrophysique ?

Un opéra, quel qu’il soit, n’est pas un ouvrage scientifique. Il n’est pas fait pour exposer des théories. Mais il faut reconnaître que c’est une manière tout à fait passionnante de tenter de transmettre de nouvelles idées. Et cela semble fonctionner : lorsque nous avons commencé, la physique des particules et la « théorie des cordes » étaient des mondes inconnus pour mes compagnons de création, mais ils ont l’air de s’y sentir assez à l’aise à présent ! Hypermusic Prologue explore précisément quelques idées sur les « dimensions supplémentaires » de l’Univers sur lesquelles je travaille avec d’autres chercheurs. J’ai d’abord été un peu gênée par le fait que le thème de l’œuvre soit si proche de mon objet d’étude, et puis je me suis rendue compte que c’était un moyen original pour faire connaître ces idées. Les dimensions supplémentaires sont une métaphore merveilleuse de toute exploration. Le monde parallèle dans lequel on pénètre ainsi est plus grand et plus riche. Mais il est également « déformé » – selon le terme technique utilisé pour parler de la courbure de l’espace. Et, grâce au plasticien Matthew Ritchie, nous pouvons aussi découvrir les richesses visuelles qu’il contient. Inversement, la science offre des pistes de réflexion à la musique. Ça a été formidable de travailler avec Hèctor et de le voir ouvrir sa musique à de nouveaux concepts.

Que tirez-vous de cette nouvelle expérience d’écriture pour vous ?

J’avais beaucoup aimé, pour mon ouvrage scientifique, la capacité que donne l’écriture d’utiliser des métaphores ou de petits récits. La création d’un livret pour un projet d’opéra tel que celui-ci est une chose évidemment bien différente, et j’étais assez hésitante au départ, mais j’ai en fait trouvé très stimulant de devoir me soumettre aux contraintes de ce type d’écriture et de faire en sorte qu’elle converge avec la musique et les images dans lesquelles elle allait s’intégrer. Cela a été une expérience fantastique.

Quelle relation entretenez-vous avec la musique ?

J’aime écouter de la musique, et en particulier de l’opéra. Mais imaginer et écrire pour la musique a été une expérience tout à fait nouvelle pour moi. De fait, Hèctor et moi avions déjà l’idée de réaliser quelque chose ensemble, mais nous voulions d’abord être certains l’un et l’autre que cela pourrait déboucher sur un projet concret, tout à la fois transposable sur scène et pouvant véhiculer nos idées. Hèctor pensait, tout comme moi, que la physique serait le domaine appro­prié, et je voulais quant à moi que l’histoire soit convaincante et attrayante. J’ai donc dû adapter mon style à la musique d’Hèctor, ce qui s’est révélé particulièrement plaisant. J’ai hâte de voir tout cela enfin réuni dans une œuvre !


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