Klaus Huber (1924-2017)

Die Erde bewegt sich auf den Hörnern eines Ochsen (1992)

assemblage pour quatre musiciens arabes, deux musiciens européens et bande magnétique
[La Terre tourne sur les cornes d'un taureau]

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1992
    • Durée : 37 mn
    • Éditeur : Ricordi
    • Commande : Westdeutscher Rundfunk, Cologne
    • Livret (détail, auteur) :

      La bande contient des extraits d'un texte de Mahmoud Doulatabadi (Discours à Munich, première publication dans le journal Süddeutsche Zeitung du 28/29.3.92). Le texte est récité en quatre langues (allemand, français, persan, arabe) et chanté en arabe. Sur

Effectif détaillé
  • soliste : autre type de voix d'homme solo [chanteur soufi]
  • autre flûte traditionnelle [nay] , cithare [Qanun] , tambourin [Riqq/ Mazhar] , guitare, alto

Information sur la création

  • Date : 22 avril 1994
    Lieu :

    Allemagne, Festival de Witten


    Interprètes :

    Ensemble Al Kindi, Marie-Thérèse Ghirardi : guitare, Jean Sulem : alto, ensemble Al Kindi : Sheik Hamza Chakour, chant soufi et récitation, Abdelsalam Safar : nay, chant et récitation, Adel Shams Eddin : riqq et mazhar, Julien Jalaleddin Weiss : qanoun, récitation, Susan Pflaum : récitation en persan, Klaus Huber : récitation en allemand.

Information sur l'électronique
Information sur le studio : Studio expérimental de la Fondation Heinrich Strobel du Südwestfunk, à Fribourg. Technique André Richard, Don-Oung-Lee
Dispositif électronique : sons fixés sur support (bande magnétique six pistes)

Observations

Les musiciens arabes improvisent d'après le maqâm, leurs interventions étant pré-déterminées. Les deux européens suivent une notation traditionnelle.

Note de programme

Avec La terre tourne sur les cornes d'un taureau, le compositeur Klaus Huber aborde un territoire compositionnel nouveau. Après avoir, ces dernières années, essentiellement travaillé avec des tonalités en tiers de ton, il prend maintenant sensiblement ses distances par rapport au système tempéré-chromatique en axant sa nouvelle composition sur les modes arabes (maqâm) et les pratiques musicales qui leur sont propres.

A titre de préparation, Huber s'est plongé dans l'étude approfondie d'auteurs de la théorie de la musique arabe classique, tels Al-Farabi (né en 872), Avicenne (980-1037) et Safiyu-D-Din Al Urmawi (mort en 1293). En mémoire des traits historiques communs aux traditions musicales européenne et arabe, dont peu se souviennent encore, il souhaite jeter des ponts entre les deux cultures : une ré-union, qui, en pleine conscience des dissensions actuelles entre l'Islam et l'Europe, prend naissance au coeur même du matériau musical et doit se développer sur un fondement d'égalité, loin de tout folklorisme. Ainsi, si l'on considère la forme, la pièce, est un amalgame entre construction planifiée et pratiques d'improvisation. Par son contenu, elle répond à l'intérêt de plus en plus vif suscité par l'Islam, qui nous paraît d'autant plus menaçant que nous le connaissons mal, alors que le genre, lui, constitue l'esquisse d'un nouveau type de musique politique, dont l'engagement humaniste ne s'arrête pas aux frontières de sa propre identité culturelle.

L'un des points de départ de la pièce est un texte du poète iranien Mahmoud Doulatabadi, lu par celui-ci en 1992 à un congrès international d'écrivains à Munich (publié dans le quotidien Süddeutsche Zeitung du 28/29 mars 1992). Selon Doulatabadi, il n'existe, pour un artiste dans un pays comme l'Iran, quasiment aucune échappatoire possible : écartelé entre fondamentalisme réactionnaire et « nouvel ordre mondial » néo-impérialiste, il ne lui reste qu'une seule alternative, se taire.

Des extraits de ce texte en persan, mais aussi dans leur traduction arabe, allemande et française, constituent le matériau linguistique de base pour le montage sonore sur bande six pistes. Ces extraits, chantés et récités, sont mixés avec des parties d'improvisation instrumentale (taqsim). Klaus Huber a laissé les interprètes libres de choisir les extraits qu'ils souhaitaient présenter. L'enregistrement s'est effectué au studio expérimental de Fribourg, avec une récitante iranienne et l'ensemble Al Kindi.

Le rapprochement des deux cultures musicales se fait au moment du montage sur la bande, où l'on procède à un nouveau remaniement du matériau enregistré grâce à l'utilisation des techniques de pointe de la nouvelle musique européenne, plus particulièrement celles liées à l'électronique : utilisation de filtres et de vocodeurs, transposition de hauteurs tonales et de tempi dans les intervalles de chaque maqâm, polyphonisation par stratification des tempi, superposition dans l'espace, etc. A ceci s'ajoute un bruit de fond continu, obtenu par le passage de brosses et de graines sur la peau du tambour, et par des impulsions sonores, constituées de bruits de métal, de pierres et de gouttes, reliées par des réseaux de temps. Klaus Huber a réparti ces composantes du bruit, retravaillées électroniquement comme l'autre matériau, en «degrés de présence» distincts, de façon à pouvoir articuler la profondeur de champ, l'« horizon sonore », de façon indépendante. Au début de la pièce le Sheik Hamza Chakour chante un verset du Coran, vers la fin résonne une citation sonore extraite d'un taqsim interprété par Mounir Bashir sur le oud (luth).

La durée totale de la bande est de 36'40". Elle est se compose de 11 séquences de chacune 3'2". Chacune d'entre elles répond à un principe de construction précis, alors que les transitions sont fluides. La forme générale est celle d'une courbe, dont la septième séquence représente le point culminant.

Le montage en six pistes de la bande magnétique permet d'aménager l'espace sonore pour les interprètes jouant en direct : l'ensemble Al Kindi, ainsi qu'un alto et une guitare, deux instruments européens originaires des pays arabes. Un nouveau pont est ainsi jeté entre les deux entités culturelles.

Les musiciens arabes suivent, pour l'interprétation et le chant, les maqamat et les extensions que leur donne le compositeur. Le Qanoun obéit avant tout au saba-maqâm, qui sert à exprimer la tristesse dans la musique arabe classique, le flûtiste utilise le hijazi, le maqâm des « étendues désertiques ». Les parties des instruments européens sont, en revanche, très travaillées. La structure rythmique-métrique de la pièce est essentiellement marquée par les rythmes cycliques (wazn) utilisés dans la musique arabe, plus particulièrement par le wazn samah (36/4) et le wazn awfar (19/4).

Max Nyffeler

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