Jonathan Harvey (1939-2012)

Death of Light, Light of Death (1998)

pour ensemble de cinq instrumentistes, d'après la Crucifixion de Grunewald, retable d'Issenheim

  • Informations générales
    • Date de composition : 1998
    • Durée : 17 mn
    • Éditeur : Faber Music
    • Commande : Musée d'Unterlinden et Ensemble intercontemporain pour le concert annuel du vendredi saint.
Effectif détaillé
  • hautbois (aussi cor anglais), harpe (aussi tam-tam), violon, alto, violoncelle

Information sur la création

  • Date : 10 avril 1998
    Lieu :

    France, Colmar, Musée d'Unterlinden, devant le Retable d'Issenheim de Grünewald


    Interprètes :

    les solistes de l'Ensemble intercontemporain.

Titres des parties

  1. Jésus crucifié – le corps sur la croix portant les horribles cicatrices d'une terrible torture physique ;
  2. Marie Madeleine – agenouillée, penchée en arrière pour regarder follement, passionnément Jésus, les mains implorantes ;
  3. Marie, mère de Jésus – pâle, évanouie, presque morte, épuisée ;
  4. Jean l'apôtre – tenant le corps inanimé de Marie, pleurant désespéré ;
  5. Jean-Baptiste – par contraste, complètement impassible, solennel, voyant un autre monde, tandis que de l'autre côté de la peinture, il désigne son sujet, Jésus.

Note de programme

Les cinq personnages de la toile de Grünewald sont décrits, tour à tour, par la musique. On ressent véritablement dans cette peinture qu'une catastrophe s'est produite, ce qui lui donne un attrait particulier pour les sensibilités de notre temps. Peut-être aucune crucifixion n'a-t-elle jamais semblé aussi dévastatrice, la Lumière a même disparu. Cependant, du côté opposé à la croix, Jean-Baptiste, un personnage sorti des morts, apparaît au cortège funèbre endeuillé. Il montre que, malgré les apparences, les évangiles seront écrits — il les tient dans sa main — et désigne ainsi la mort de Jésus comme un message d'espoir. Dans la mort elle-même, la signification ultime peut être prophétiquement trouvée par ceux qui ont des yeux pour voir — un message pour toutes les religions, toutes les croyances et non-croyances.

Jonathan Harvey, programme du concert de l'Académie d'été, Ircam, 20 juin 1998.

Lorsqu’il reçoit la commande de la Ville de Colmar, Jonathan Harvey connaît naturellement le retable d’Issenheim. Certains thèmes qu’y traite Matthias Grünwald – tel celui de la passion du Christ et, plus généralement, ceux de la mort, de la foi et du salut – habitent du reste depuis longtemps son œuvre qui, nourrie par un certain mysticisme, aspire au spirituel et au transcendant. Plutôt que d’illustrer le retable dans son entier – et se laisser ainsi guider par sa dramaturgie, de panneau en panneau, avec, tour à tour, la tentation de Saint Antoine, les différentes figures de saints et autres scènes peints sur ses nombreux volets –, Jonathan Harvey préfère se concentrer sur le panneau central : la Crucifixion. L’organisation de l’œuvre autour de la croix – et l’ajout inattendu, sur la droite de la croix, de Saint Jean le Baptiste (lequel n’a pu selon toute vraisemblance assister à la crucifixion, sa décollation ayant probablement eu lieu plusieurs années auparavant), avec à ses pieds l’agneau – lui permet toutefois d’interroger un oxymore essentiel de la liturgie chrétienne : celui représenté par le symbole de la croix. Le Christ est en effet, d’après l’évangile selon Saint Jean et quelques autres écrits saints, la « Lumière du monde » (« Light of the World ») – et cette lumière éclaire le mystère de ce que la mort, a priori, peut être aussi aveuglante et bénéfique. ainsi l’indique Jean Baptiste, qui voit ici en la mort de Jésus l’accomplissement des écritures et, par conséquent, une promesse et un espoir. La croix n’est donc plus seulement un symbole de martyre et de mort (la mort de la lumière), mais « aussi un symbole de salut de lumière – et c’est là un paradoxe qui me plaît, dit Jonathan Harvey ». (voir son article « Spiritual Music: positive negative theology » sur son site www.vivosvoco.com) Et c’est là aussi le paradoxe qui éclaircit le titre de la pièce – et son énigmatique symétrie dialectique.

Jérémie Szpirglas, concert du 15 avril 2011, Centre Pompidou.