Elliott Carter (1908-2012)

String Quartet No. 2 (1959)

  • Informations générales
    • Date de composition : 1959
    • Durée : 22 mn
    • Éditeur : Associated Music Publishers
    • Commande : Quatuor Stanley
Effectif détaillé
  • violon, violon II, alto, violoncelle

Information sur la création

  • Date : 25 mars 1960
    Lieu :

    Étas-Unis, New York


    Interprètes :

    le Quatuor Julliard.

Titres des parties

  • Introduction
  • Allegro fantastico
  • Cadence d'alto
  • Presto scherzando
  • Cadence de violoncelle
  • Andante espressivo
  • Cadence de violon
  • Allegro
  • Conclusion

Note de programme

Mes deux premiers quatuors (de 1951 et 1959), aujourd'hui *, me semblent exister dans des univers de temps différents, le premier s'élargissant, le second se condensant et se concentrant — bien que cette opposition n'ait guère été consciente à l'époque de leur composition. Chacun présente une version différente de l'expérience humaine du temps, telles celles imaginées par Thomas Mann dans un chapitre de La Montagne magique, intitulé « Dans l'océan du temps », où il écrit : « Il ne serait pas difficile d'imaginer l'existence de créatures, peut-être sur des planètes plus petites que la nôtre, pratiquant une économie de temps miniature... Et, à l'inverse, on peut concevoir un monde si spacieux que son système de temps lui procure aussi une scansion majestueuse... »

Bien que ces deux quatuors traitent du mouvement, du changement, de la progression dans laquelle la répétition littérale ou mécanique trouve peu de place, le développement de l'expression et de la pensée musicales durant les huit années qui les séparent me semble d'une portée considérable. Leur différence, mis à part les échelles de temps, pourrait être comparée d'une part aux types de continuités que l'on trouve dans l'œuvre de Mann — dans ses premiers écrits, les personnages maintiennent leurs identités de caractère durant toute une œuvre avec toutefois certains changements révélateurs — et d'autre part aux nouvelles de Joseph Conrad par exemple, où chaque personnage est un archétype auquel les diverses autres incarnations se réfèrent constamment (comme le fait Joyce, d'une manière différente, dans Finnegans Wake).

Dans le Premier Quatuor, la récurrence d'idée est plus littérale que dans le Deuxième Quatuor, où le rappel ne restitue que certains traits d'expression — « modèles de comportement », vitesses, et intervalles — qui forment la base d'une série toujours changeante d'incarnations. Le langage musical du Deuxième Quatuor a, quant à lui, émergé presque inconsciemment à partir d'idées du Premier Quatuor, ainsi que de mon travail durant les années cinquante.

[...] (cf. texte sur le Premier Quatuor)

Ecrit en 1959, le Deuxième Quatuor contraste passablement avec le Premier. Comme je l'ai dit précédemment, ce quatuor emploie peu la répétition thématique, celle-ci étant remplacée par une série toujours changeante de motifs et de figures reliées entre eux par des relations internes. Les instruments sont dans une certaine mesure enfermés dans leur rôle, car chacun avec une certaine logique invente son matériau à partir de sa propre attitude expressive, ainsi qu'à partir de son propre répertoire de vitesses et d'intervalles musicaux. Chaque instrument est un peu comme un personnage dans un opéra.

La séparation des caractères instrumentaux est conservée de manière relativement distincte tout au long de la première moitié de l'oeuvre, mais devient de plus en plus homogène à mesure que l'on approche de la conclusion, point à partir duquel la séparation émerge à nouveau. La forme du quatuor en tant que telle permet de clarifier les éléments de cette conversation à quatre. Les individus sont reliés les uns aux autres par ce que l'on pourrait métaphoriquement nommer trois formes de réactivité : vassalité, camaraderie et confrontation.

L'Introduction et la Conclusion présentent, dans le mode « camaraderie » et sous une forme aphoristique, le répertoire de chaque instrument. L'Allegro Fantastico est dominé par le premier violon, dont la partie fantasque et ornée est « imitée » par les trois autres instruments, chacun respectant sa propre individualité ; la même chose se passe dans le Presto scherzando mené par le second violon et dans l'Andante mené par l'alto. L'Allegro final, bien que dominé par le violoncelle — qui de temps en temps attire les autres dans une de ses accélérations caractéristiques —, tend plutôt à privilégier le modèle du « compagnonnage » au détriment de celui de la « vassalité ».

Entre ces mouvements se trouvent des « cadences de confrontation » ou d'opposition instrumentales : après l'Allegro fantastico, l'alto joue sa cadence expressive — presque une lamentation —, confronté aux explosions des trois autres qu'on pourrait qualifier de rageuses ou ridicules ; après le Presto scherzando, le violoncelle, jouant d'une façon libre et romantique, affronte le temps strict et insistant des autres ; finalement, après l'Andante espressivo, le premier violon continue tel un virtuose et s'oppose au silence des autres, lesquels, avant la fin de cette cadence, commencent l'Allegro final. Tout au long du quatuor, le second violon a une influence modératrice, jouant ses notes pizzicato ou arco pour marquer un temps régulier, sa moitié, ou son double — et toujours à la même vitesse.

* Texte écrit en 1970.

Elliott Carter, notice du Festival Archipel, Genève, 25 mars 1992.