Enno Poppe (1969)

Speicher I (2010)

pour ensemble

  • Informations générales
    • Date de composition : 2010
    • Durée : 16 mn
    • Éditeur : Ricordi, Munich, nº Sy. 4018
    • Commande : Westdeutschen Rundfunks pour l’édition 2010 du festival Wittener Tage für Neue Kammermusik
    • Dédicace : Klangforum Wien, avec mes remerciements et ma confiance
Effectif détaillé
  • 2 flûtes (aussi flûte piccolo, flûte alto), hautbois (aussi cor anglais), 2 clarinettes (aussi clarinette basse), saxophone, basson, cor, trompette, trombone, 2 percussionnistes, accordéon, piano, 2 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse

Information sur la création

  • Date : 10 avril 2010
    Lieu :

    Allemagne, Witten


    Interprètes :

    Klangforum Wien ; Beat Furrer, direction

Note de programme

Si vous lisez le programme avant le concert :

Je n’aime pas les notions d’harmonie et de système tonal. Si j’apprends par cœur un tableau sur l’intonation exacte des gammes arabes, je n’ai encore rien compris à la musique arabe. La musique est quelque chose de vivant. Les règles et les lois sont faites pour être examinées, révisées, remplacées ou abolies.
Ce qui commence par la définition du plus petit élément que nous partageons : le ton. Jusqu’à quelle variation de hauteur un ton avec vibrato est-il encore un ton à part entière ? Le piano constitue un cas particulier. Car il existe un continuum de phénomènes entre le vibrato, le portamento, le glissando et les micro-intervalles. Rien de tout cela n’est pris en compte par notre théorie musicale. À cela s’ajoute l’existence d’un rapport à peine étudié entre le timbre et l’intonation, rapport sur lequel les musiciens en savent intuitivement beaucoup plus que les compositeurs, animés par leur volonté de systématiser.
Dans Speicher I1, j’utilise une échelle octotonique, composée de huit trois-quarts de ton. Celle-ci peut être décrite comme deux accords de septième diminuée à trois quarts de ton d’intervalle, ou encore comme le deuxième mode à transposition limitée de Messiaen, à quatre tons. Cette échelle octotonique forme, avec deux transpositions en quarts de ton, l’espace tonal complet en quarts de ton. Faut-il y voir plus qu’un simple classement préalable ? Car pour commencer, il est aussi question de tons individuels. Car après, il s’agit de plus en plus de lignes, d’accords. Et ainsi de suite.

Si vous lisez le programme pendant le concert :

Pourquoi faites-vous cela ? Il y a tellement de choses à voir dans un concert. Imprégnez-vous de la manière dont les musiciens bougent. Et tâchez de ne pas prêter attention au chef d’orchestre. La mesure qu’il bat n’est pas le pouls de la musique. Le rythme se tresse de manière flexible autour de la mesure. Le rapport entre les notes accentuées et les notes non accentuées contribue énormément à structurer la musique et à générer de cette manière du sens. L’irrégularité est aussi ennuyeuse que la régularité.

Si vous lisez le programme après le concert :

C’était donc ça ? Oui, mais je pense que cette pièce va continuer à s’écrire, même si elle retentit maintenant d’une manière ô combien circulaire. L’ensemble n’est qu’une structure complexe de variations et de répétitions. Et là, tout se comporte exactement de la même manière à toutes les échelles : les premières notes de l’alto sont mises en relation les unes avec les autres (en tant que « variation développante ») exactement de la même manière que les petites, moyennes et grandes séquences formelles. Outre la variété, pour qu’un morceau se poursuive sans cesse et reste intéressant, il est important de pouvoir reconnaître quelque chose. Car tout peut être matière à reconnaissance, un son isolé comme une partie complète de la forme (cf. les « reprises »). Il est donc bien moins nécessaire de jeter constamment de nouvelles idées dans un morceau que d’inventer un réseau imprévisible de dérivations. L’étape suivante consisterait à pouvoir prévoir ce qui va se passer ensuite : on aurait alors établi un mode d’écoute actif. Qu’on soit dans le domaine du micro ou de la macro, les proportions sont d’ailleurs partout 8 – 3 – 4 – 6 – 2 – 12. Deux processus entrelacés, dont l’un se raccourcit (8 – 4 – 2), l’autre s’allonge (3 – 6 – 12). Mais ce sont des durées réelles : que quelque chose soit long ou court dépend du contenu et de l’effet. Speicher I : le début d’un processus. Dans le grenier de la mémoire aussi, les choses finissent constamment en désordre.


  1. N.d.t. : Le terme « Speicher » désigne aussi bien un grenier qu’une mémoire informatique.

Enno Poppe, note de programme du concert ManiFeste du 1er juillet 2023 dans la Grande Salle du Centre Georges Pompidou.