Philippe Manoury (1952)

Echo-daimónon (2011 -2012)

concerto pour piano, électronique et orchestre

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 2011 - 2012
    • Durée : 20 mn
    • Éditeur : Durand, Paris
    • Commande : Orchestre de Paris, Filharmonia Wrocławska et Ircam-Centre Pompidou

Information sur la création

  • Date : 1 juin 2012
    Lieu :

    France, Paris, Salle Pleyel, ManiFeste de l'Ircam


    Interprètes :

    Jean-Frédéric Neuburger et l’Orchestre de Paris, direction : Ingo Metzmachcher.

Information sur l'électronique
Information sur le studio : Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Thomas Goepfer
Dispositif électronique : temps réel

Observations

Note de programme

À certains égards, Echo-Daimónon fait suite à Passacaille pour Tokyo, créée en 1994 par le pianiste Ichiro Nodaïra : à commencer par le piano soliste et le geste théâtral autour duquel se cristallise la composition. Dans Passacaille pour Tokyo, c’était le souvenir de la résonance, floue et diffuse, d’un piano accompagnant une répétition de danse, réverbérée au long des sinueux couloirs de la Salle Pleyel – au premier piano soliste répondait ainsi comme son ombre un second, installé dans les coulisses.

Dans Echo-Daimónon, c’est la figure même du soliste qui est mise au centre d’un dispositif, quasi dramaturgique. Ainsi Philippe Manoury décrit-il cette image, qui semble tout droit sortie d’une tragédie de Shakespeare : « quatre pianos-fantômes viennent hanter le soliste et prendre progressivement possession de lui, écrit-il ». L’orchestre, faisant office de décor ou de confident au monologue pianistique, vient commenter, appuyer et souligner l’évolution des relations entre les cinq protagonistes : le pianiste, bien réel, et les quatre démons qui l’obsèdent. 

Ces quatre pianos fantômes ne sont d’abord qu’un spectre à la présence diffuse, puis, s’affirmant peu à peu, ils reprennent le discours du soliste pour le déformer aussitôt, le décomposer, le morceler, le désagréger, le déliter – chacun des quatre se disloquant à son tour jusqu’à ce que 16 à 20 pianos envahissent l’espace sonore. Dans un sursaut de conscience, le soliste va tâcher de reprendre le dessus et, pour un moment au moins, semblera contrôler ces démons qui lui font écho. Ce moment de paix – qui pourrait évoquer, de loin, le mouvement lent d’un concerto « romantique » – sera hélas de courte durée. Les fantômes se réveillent à nouveau, et s’ébrouent avec une liberté presque sauvage en réponse à une sorte de « toccata » endiablée et virtuose entonnée par le soliste. Et si, à l’issue de cette chevauchée ardente, le soliste et l’orchestre semblent être venus à bout de ces apparitions – les pianos fantômes ne réagissent plus que par bribes –, un coup de théâtre final nous révèle que ce n’est qu’illusion : c’est même exactement l’inverse qui s’est produit. Le pianiste est bel et bien possédé. Pour la première (et unique) fois de la pièce – et fait rarissime dans la musique de Philippe Manoury –, le pianiste se lève de son siège, se penche sur la caisse de son instrument pour poser son doigt sur les cordes et produire un son harmonique – un mode de jeu jusque là réservé aux fantômes.

La synthèse par modèle physique permet également à Philippe Manoury de pallier à certaines « insuffisances » relatives de la facture instrumentale : « Je suis un peu frustré de constater que le piano n’évolue presque plus aujourd’hui : aucune innovation majeure depuis l’apparition de la troisième pédale, sostenuto, qui, en maintenant levés les étouffoirs des cordes qui viennent d’être frappés et pas les autres, permet d’obtenir des halos sonores qu’aucun autre instrument ne peut produire. Mais c’est un concept fascinant, qui pourrait être élargi : on peut ainsi imaginer un système d’étouffoirs, éventuellement contrôlé par ordinateur, qui en lèverait certains et laisseraient les autres baissés, indépendamment des cordes frappées… »

À défaut d’un dispositif instrumental approprié, c’est donc grâce à l’électronique que Philippe Manoury expérimente les possibilités de sa pédale sostenutoaméliorée sur la résonance du piano, pour donner vie et substance à ses quatre pianos fantômes. Dans le même ordre d’idées, il imagine de modifier l’accord des cordes de cette caisse de résonance virtuelle, pour obtenir des textures et de spectres inouïes, tout en gardant une identité pianistique indéniable. 

« Les instruments ont certes été conçus à une certaine époque, pour produire une esthétique sonore bien précise, mais ils sont toujours bien plus que cela. “Piano” pourrait être un terme générique pour nommer toute une famille d’instruments. Tout est si standardisé aujourd’hui, qu’il nous faut aller chercher des esthétiques sonores nouvelles non prévues dans la conception de ces instruments. Comme me l’a dit un jour Pierre Boulez : « Quand Stradivarius construisait ses violons, il n’imaginait pas ce que Paganini allait en faire. » 

Jérémie Szpirglas, programme du concert ManiFeste du 1 juin 2012.