Benedict Mason (1954)

Third Music for European Concert Hall (1994)

EIC, Espro, ...I love my life, pour récitant, ensemble et électronique

œuvre électronique, Ircam

  • Informations générales
    • Date de composition : 1994
    • Durée : 25 mn
    • Éditeur : Chester Music, Londres
    • Commande : Ircam
    • Livret (détail, auteur) :

      collage de textes de différentes origines, d’objets trouvés…, par Benedict Mason

Effectif détaillé
  • soliste : 1 récitant
  • 2 flûtes (aussi 2 flûtes piccolos), 2 hautbois, 2 clarinettes, 1 clarinette (aussi 1 clarinette basse), 1 basson, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones ténor-basse, 1 trombone (aussi 1 trombone contrebasse), 1 tuba (aussi 1 euphonium), 3 percussionnistes, 2 pianos (aussi 2 claviers électroniques/MIDI/synthétiseurs, 2 célestas), 3 violons, 2 altos

Information sur la création

  • Date : 25 novembre 1994
    Lieu :

    Paris, Ircam, Espace de projection


    Interprètes :

    l'Ensemble intercontemporain, direction : Pascal Rophé.

Information sur l'électronique
Information sur le studio : Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale) : Serge Lemouton
Dispositif électronique : dispositif électronique non spécifié

Note de programme

Voici le troisième volet d'une trilogie, où j'ai tenté de traiter le matériau de la salle de concert et la salle elle-même comme un instrument ; et de faire ainsi quelque chose de spécifique, pour une salle spécifique, en travaillant avec les sons et l'espace « indigènes » de cette salle. (Les autres salles de la trilogie étaient la Sendesaal du Hessischer Rundfunk et la MozartSaal de l'Alte Oper à Francfort.) L'Espro 3 (Espace de projection de l'Ircam) – à la fois si intriguant et si fonctionnel en tant qu'espace acoustique expérimental – me semblait être un « instrument » de travail idéal.

L'espace étant une manière d'articuler musicalement le théâtre, cette pièce travaille sur la perception, l'appréhension et la conscience de l'auditoire d'une salle de concert (ainsi que sur les connotations théâtrales de ces termes). De fait, il n'y aurait guère de sens à faire la même chose dans un théâtre ; le projet suppose l'espace du concert, et l'une de ses sources d'inspiration aura été l'observation des auditeurs durant le spectacle : les regarder en silence regarder, penser, écouter.

La pièce est donnée à la manière d'une installation en cours – les musiciens devant jouer d'après une vidéo, sans contact physique direct avec le chef d'orchestre, comme une machine autonome. Sont-ils en train de faire du théâtre ou en train de jouer de la musique ? Ne font-ils pas du théâtre quand ils jouent ? Où est la frontière ?

Il s'agit de trouver une musique abstraite qui soit encore parlante : ajouter des qualités spatiales et de la distance (réelles, illusoires et imaginaires) à un son peut peut-être conférer une qualité émotionnelle ou surréelle au résultat (Ernst et De Chirico).

Dans cet espace, j'ai introduit toutes sortes d'autres espaces, depuis l'acoustique très résonante de Notre-Dame de Paris jusqu'aux usines et aux gares, en passant par les coulisses de l'Espro lui-même et d'autres lieux au sein de l'Ircam – cet étrange château de Barbe-Bleue plein de recoins et de niveaux intriguants.

Il y a bien d'autres processus :

  • enregistrer in situ, puis ré-enregistrer la sonorité de l'espace rediffusée dans son lieu propre, pour découvrir notamment la résonance Si bémol grave de l'Espro ;
  • enregistrer de l'extérieur de la salle des sons qui se produisent à l'intérieur ;
  • simuler différents espaces d'enregistrement en compressant la résonance et en donnant la sensation d'une qualité « 78 tours »... et ainsi de suite.

Pour cette pièce, un effort de recherche considérable a été engagé sur l'effet Doppler (réel ou illusoire) et sur le mouvement du son, en essayant délibérément de forcer le son à changer de direction. Et de fait, le mouvement des musiciens (qui sont censés jouer sur des chaises tournantes) relève de ce même effort. Parmi les autres effets : le wa-wa (également souligné par le mouvement des musiciens) ainsi que l'emploi, dans l'interprétation, de la sourdine qui, à tort, porte ce nom (les cors jouent avec des sourdines wa-wa qui avaient été utilisées dans le premier volet de la trilogie, et une autre, inédite, a été spécialement construite pour le tuba à l'occasion de cette œuvre, si bien que toute la famille des cuivres peut maintenant disposer de ce type de sourdine). Je vois une corrélation entre la distance et l'espace hors-scène, ainsi qu'avec le son fermé d'une telle sourdine, ou encore avec celui des plunger mutes. De même qu'il est possible de corréler l'ouverture et la fermeture d'une sourdine wa-wa avec la forme dynamique de la proximité ou de la distance dans l'effet Doppler.

Une fascination pour les sons qui sont trop faibles pour que nous les entendions vraiment ; les bugs de l'Ircam, la climatisation ; le blocage des portes, les grillages au sol, les pavés désolidarisés ; le trafic, l'industrie, les bâtiments – aussi celui de l'Ircam –, un autre type de « son Ircam » : non pas les sons électroniques bien connus, mais ceux de ses espaces, le bâtiment lui-même, son langage et les sons de sa reconstruction.

En général, j'ai délibérément essayé de ne pas mêler les sonorités instrumentales live avec celles issues des haut-parleurs. De plus, pour entendre correctement toutes ces résonances, ces échos et ces distances, on a besoin d'une certaine vacuité, presque naïve.Il était également dans mon intention, dans la mesure du possible, de ne pas traiter ces sonorités non instrumentales, mais de les laisser parler pour elles-mêmes. A l'occasion, certaines résonances ou distances, certains échos (réels, illusoires et imaginaires) ont toutefois été traités avec différents outils de transformation développés à l'Ircam.

Finalement, c'est le son lui-même qui compte, et non les théories ou les revendications quant à son invention ou sa raison d'être. L'ordinateur doit être utilisé pour créer des sons efficaces, ce qui signifie que nombre de possibilités doivent être explorées (cette variété éclectique est d'une importance cruciale), même si l'on travaille en vue du menu plutôt que du repas lui-même. Les ordinateurs ne rendent pas le travail plus rapide ou la vie plus aisée.

J'ai essayé de travailler avec la qualité matérielle du son, parfois même avec des sons dont la qualité est habituellement jugée « pauvre » – voire avec des bruits de bande magnétique, de vent, de coupures dans le montage, avec la qualité « inacceptable » des rebuts, etc. La distorsion naturelle est bien plus belle que la distorsion moderne numériquement programmée. Et encore le son des clés, des anches, le souffle, les archets et les cordes des instruments : non pas en tant qu'effets attachés à une certaine avant-garde, mais simplement pour ce matériau en tant que tel, d'où les hauteurs sont exclues, et en tirant parti de la qualité poétique de ce qui reste, de ce qui est là, de ce qui existe. De même pour l'approche de la qualité matérielle de la musique instrumentale elle-même : avec cette batterie d'instruments dans un registre moyen, essayer de trouver un matériau qui soit de la « non-musique », « non-tonalité », « non-harmonie ». Une a-musique, sans tonalité, une an-harmonie qui, par nécessité, n'existe pas comme harmonie, car c'est un unisson ; ni comme mélodie, car elle n'a pas de signification sémantique (notamment lorsqu'elle est toujours construite avec la même note).

Une musique esquivant le contexte, la conséquence et le développement ou l'artifice : une méta-musique, coupée et collée pour exclure la « musicalité » (telle que l'on en est venu à la comprendre) du matériau. Je me retrouve à gommer des notes parce qu'elles créent trop de connotation mélodique. Non pas une musique « musiqueuse », avec tous ses paramètres idiosyncratiques, mais le son que les instruments de musique produisent, et ce qui arrive lorsqu'ils activent ou confèrent de l'énergie à un espace acoustique. Je ne parle pas non plus de Klangfarben, ni de texture ; pas de Varèse, pas de Cage (ni de Scelsi — il ne s'agit pas de pénétrer la véritable essence, le cœur du son).

Il n'y a rien d'humoristique dans cette pièce – tout est fait avec les intentions les plus sérieuses.

Benedict Mason.