Lorsqu'en 1985, je rencontrai à Berkeley l'astronome et cosmologiste Jo Silk, il me fit découvrir les sons des pulsars.
Je fus séduit par ceux du pulsar de Vela et immédiatement je me demandai, à la manière de Picasso ramassant une vieille selle de bicyclette : « Que pourrais-je bien en faire ? »
La réponse vint lentement : les intégrer dans une œuvre musicale sans les manipuler ; les laisser exister simplement, comme des points de repère au sein d'une musique qui en serait en quelque sorte l'écrin ou la scène ; enfin, utiliser leurs fréquences comme tempi et développer les idées de rotation, de périodicité, de ralentissement, d'accélération et de « glitches » que l'étude des pulsars suggère aux astronomes. La percussion s'imposait car, comme les pulsars, elle est primordiale et implacable et, comme eux, cerne et mesure le temps, non sans austérité. Enfin, je décidai de réduire l'instrumentarium aux peaux et métaux, à l'exclusion des claviers.
Le Noir de l'étoile était né ou presque... Il restait à imaginer un complément lumineux de la partition, à élaborer une scénographie, à convaincre la communauté des astronomes de Nançay de transmettre un pulsar dans une salle de concert et, enfin, à réunir une équipe
qui fût autant que moi passionnée par le projet.
Lorsque la musique parvient à conjurer le temps, elle se trouve investie d'un véritable pouvoir chamanique : celui de nous relier aux forces qui nous entourent. Dans les civilisations passées, les rites lunaires ou solaires avaient une fonction de conjuration. Grâce à
eux, les saisons pouvaient revenir et le soleil se lever chaque jour. Qu’en est-il de nos pulsars ? Pourquoi les faire venir ici
aujourd'hui, à l’heure où leurs passages dans le ciel boréal les rend accessibles ?
Bien sûr, nous savons — ou croyons savoir — qu'avec ou sans nous, 0359-54 et le pulsar de Vela continueront leurs rondes interminables et, indifférents, balayeront les espaces intersidéraux de leurs faisceaux d'ondes électromagnétiques. Mais n'est-ce pas en les piégeant dans un radiotélescope puis en les intégrant dans un événement culturel et sophistiqué — le concert — qu'ils nous renvoient alors plus que leurs propres chants ?
En effet, le moment du passage d'un pulsar dans le ciel nous astreint à une date précise et, en rivant le concert sur cette horloge lointaine, il devient un événement in situ, plus exactement in tempore, relié aux rythmes cosmiques. Ainsi, les pulsars détermineront non seulement les différents tempi ou pulsations du Noir de l'étoile, mais également la date et l'heure précise de son exécution. Musique avec pulsar obligé !
Que l'on n'en déduise pas cependant que je suis un adepte de la musique des Sphères ! Il n'est d'autre Musique des Sphères que la Musique Intérieure. Celle-là seule pulse encore plus violemment que nos pulsars et oblige de temps à autre un compositeur à rester à l'écoute.
Gérard Grisey.