informations générales

date de composition
2008-2009
durée
15 min
éditeur
Billaudot
Dédicace
à Claude Delangle
Commande
Orchestre national de Lorraine, Radio-France et Arsenal de Metz

genre

Musique concertante (Saxophone et ensemble/orchestre)

effectif détaillé

Soliste(s)
saxophone

2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones, tuba, 3 percussionnistes, harpe

informations sur la création

date
14 février 2009

France, Metz, festival Présences de Radio France

interprètes

Claude Delangle : saxophone solo et l'Orchestre national de Lorraine, direction : Jacques Mercier.

Note de programme

Lorsque j’avais une quinzaine d’années, j’habitais chez mes parents dans la vallée de Chevreuse. Un jour, en revenant de Paris en train, j’observais dans le ciel un vol de corbeaux. J’étais très fatigué et me suis alors endormi. Je me suis réveillé un peu plus tard, dans un train allant dans le sens inverse du premier. Chose incroyable, j’ai vu ce vol d’oiseaux se poursuivre exactement à l’endroit où je l’avais laissé, m’étant endormi, comme si le temps s’était arrêté. Or, je savais, du fait que le train était dans l’autre sens, que du temps avait dû s’écouler entre les deux instants. C’était comme s’il avait existé une brèche temporelle, dans laquelle s’était déroulée une action énigmatique échappant à ma conscience. Cette expérience a eu par la suite une grande influence sur ma façon de concevoir la musique.

L’unique trait de pinceau est une œuvre composée comme un grand geste ascendant entrecoupé de longs silences qui représentent ces brèches temporelles. Celles-ci laissent voir le blanc de la page sonore, dans l’idée que la véritable musique est peut-être celle qui se déroule mystérieusement dans notre écoute intérieure au sein de ces silences : silences de la mémoire et de la synthèse de ce qu’on vient d’entendre. Silences qui parfois absorbent la musique, ou n’en laissent subsister que des résidus, sous la forme de sons soufflés participant de ce que le peintre Shitao — dit aussi « Moine Citrouille-amère » — aurait appelé le souffle unificateur. Dans l’esprit de l’unique trait de pinceau du peintre chinois du 17e siècle, j’ai essayé de présenter un seul geste musical, celui d’une perpétuelle ascension, mais d’une façon non linéaire, dans un temps élastique.

La pièce explore également les relations entre le soliste, de petits groupes instrumentaux et l’orchestre, comme autant de métaphores de celles qui existent entre un individu, son environnement proche et la foule. En connivence avec un projet de film de Bénédicte Delesalle, ces relations s’inscrivent au travers des notions de lumière associée à celles de verre, d’eau comme symbole d’organicité, et de ville comme élément structurel régissant les passages et la circulation.

Le saxophone — lumière ou ange — est à la fois actif et réflexif. Il se situe comme un personnage qui anticipe, résume, commente l’activité des autres instruments, ou bien médite sur celle-ci dans de nombreuses cadences, chacune étant précédée d’un court intermède, sorte de respiration rompant le grand geste ascendant. La relation du soliste à l’orchestre est avant tout celle de l’individu au groupe. Il subit l’influence, voire la déconstruction — y compris de son instrument — provoquée par cette société qui l’entoure, mais pour toujours renaître, plus affirmé et ayant affiné sa relation au monde, qu’il soutient parfois. L’orchestre, comme symbole social, tourne parfois en boucle, répétitif dans ses comportements. L’individu saxophone, quant à lui, continue d’aller plus loin, entouré des petits groupes instrumentaux avec qui il entretient une relation de proximité.

Précédé d’une phase de méditation de trois jours, puis écrite rapidement en un seul mouvement du début à la fin, L’unique trait de pinceau, comme le verre toujours vivant parce qu’il coule sans cesse, s’achève dans les espaces inaudibles du suraigu, prémices d’un prochain retour du sonore.



Philippe Leroux.

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