Yan Maresz, dans quelles circonstances vous êtes-vous intéressé à la musique électroacoustique et à l’informatique musicale ?
Mes origines musicales sont le jazz et le rock,et, déjà à l’époque, j’aimais jouer avec des sons électriques ou électroniques. La démarche me semblait même la plus naturelle du monde. À la fin des années quatre-vingt, la composition a peu à peu pris le pas sur le reste, et la musique électronique a continué à me passionner, dans le domaine « contemporain » cette fois. C’est ainsi que j’ai intégré le cursus de composition et d’informatique musicale de l’Ircam en 1993.
À l’époque, deux modèles de composition dominaient : celui de Brian Ferneyhough d’une part, et celui des Tristan Murail et Gérard Grisey de l’autre. Si l’on n’entrait pas dans l’une de ces deux cases, il était difficile d’exister. Heureusement pour moi, je suis tombé au bon moment : Laurent Bayle était à la tête de l’Ircam et la maison s’ouvrait. Mes propositions musicales étaient différentes, mais elles ont eu un certain succès — ma pièce Metallics, écrite dans le cadredu cursus, a même été reprise ensuite, ce que je ne pouvais bien sûr pas savoir à l’époque.
Lorsqu’on considère votre catalogue, on constate que vous avez somme toute très peu écrit de musique avec électronique — six œuvres en près de vingt ans (Metallics, Aqua Vergine, Al Segno et Sul Segno, Paris qui dort, Link et, très récemment, Tutti). Votre nom reste toutefois étroitement associé à l’informatique musicale, peut-être parce que vous avez enseigné à l’Ircam de 2006 à 2011. Comment approchez-vous l’outil lui-même ?
À chaque nouvelle pièce avec électronique, je me suis attaché à dégager une approche singulière, à creuser l’outil là où il pouvait interroger mon écriture, à l’utiliser pour mettre au jour ce qui, selon moi, est un enjeu dans la musique électronique à un moment donné, ou dans la musique en général.
J’ai toujours eu du mal à rentrer dans une école de pensée, quelle qu’elle soit. J’ai même toujours détesté cette posture, et je suis systématiquement suspicieux d’un spectral de plus, ou d’un saturateur de plus : comment peut-on accepter de vivre ainsi « musicalement » étiqueté ? Cela me fait trop penser à ce monde consumériste qui nous entoure. J’aime au contraire la singularité, même au détriment de l’originalité. Pragmatique, je prélève ce qui m’intéresse, ou ce dont j’ai besoin, dans divers courants, sachant que je ne pourrai de toute façon jamais embrasser esthétiquement la totalité de ce qui les caractérise.
Quelles approches singulières avez-vous trouvé dans le cas des deux œuvres au programme de ce concert ?
Concernant Metallics, l’idée de départ était de simuler des sourdines virtuelles pour la trompette — des imitations de sourdines réelles, grâce à des traitements en temps réel. La sourdine, c’est l’instrument qui se déguise — tout change : le timbre, l’épaisseur du son, le caractère… Je me suis donc lancé dans l’étude et l’analyse de diverses sourdines, ce qui m’a ensuite servi de modèle, me fournissant aussi bien le matériau formel que le matériau harmonique et les idées de traitements sonores. L’idée acoustique de la sourdine a nourri l’électronique et l’écriture de la synthèse.
Dans Sul Segno, c’est l’exploration des modèles de résonance qui a guidé la synthèse du son et les traitements. J’avais un ensemble un brin baroque (harpe, guitare, cymbalum, contrebasse), a priori très peu sonore, que j’ai eu envie de faire sonner comme du rock : avec un son puissant, démesuré — créant un gigantesque décalage entre les musiciens que l’on voit et le son qu’on entend. L’électronique y est donc massive, avec un énorme travail sur l’univers sonore des cordes pincées. La pièce reste pourtant très douce.