Texte cité dans

Version originale de la biographie de Jean-Marc Singier dans Brahms

par Gérard Pesson

18 mars 1997


L'univers de Singier est éclectique : familier de la percussion iranienne, admirateur de l'Ecole Notre Dame comme du jazz Dixieland, Singier ne se refuse aucune couleur, aucun matériau, mais, quand il les choisit et les ramasse, il se les approprie et les ajuste à son trait à la fois ironique, sec et bienveillant, comme faisait son maître tutélaire : Stravinsky.

Il y a du bricoleur, du Tinguely chez Singier. On l'imagine volontiers errer la nuit dans la grande brocante de la musique pour prendre quelques éclats à incorporer dans on ébénisterie joviale. Sa musique, préservée de toute pesanteur, de tout dogmatisme, scintille de sens préexistants — art truculent de la « récup » (ce n'est pas pour rien qu'il dit son admiration pour Arcimboldo) qui trahit un goût évident pour les tours de passe-passe.

Avant même de l'avoir entendue, on reconnaît sa musique au cortège d'allitérations qui l'annonce, ces titres programmatiques qui sont le cauchemar des présentateurs : Blocs en vrac, de bric et de broc, Bouts rimés burinés, Traces et strettes, en strates... en strophes (prenez garde à la ponctuation : Singier « gît dans les détails »), etc. Par mimétisme, par gourmandise, Singier s'est constitué une langue, comme André Martel dont il utilise le sabir inventé, un code comme les oulipiens à qui il ressemble parfois dans cette révérence à la règle-jeu de toute construction artistique.

La musique de Jean-Marc Singier, presque atemporelle, entre le bastringue et le bazar d'orient, est une musique nerveuse, qui avance par bonds, se débite en fragments agencés avec minutie (et composés avec précaution et lenteur) ; une musique pulsée, toute en angles ; Tout est pesé chez Singier, tout sonne avec préméditation - et ce n'est d'ailleurs pas son moindre mérite que d'être une musique très « entendue », à défaut d'être encore très écoutée. Musique raffinée mais pas maniériste, musique débonnaire, quoiqu'une tension innerve cet art méticuleux et têtu.

Un centimètre carré de la musique de Jean-Marc Singier est reconnaissable. C'est toujours bon signe...


© Ircam-Centre Pompidou mars 1997