Le titre Dystemporal fait référence à la manière distordue et déconcertante dont la temporalité est manipulée et perçue au cours de l’œuvre. La forme de la première section ressemble à une spirale, le matériau tourne inlassablement sur lui-même, tout en s’étirant continuellement. On peut entendre des profils rythmiques et harmoniques récurrents, mais le groove sur lequel ils se développent évolue à chaque nouvelle occurrence. Chaque événement est figé dans une certaine régularité rythmique, laquelle ne sera dérangée qu’au changement de groove suivant. La pièce consiste ainsi en une succession ininterrompue de grooves qui ne s’installent jamais. Dans son projet rythmique, cette pièce peut donc s’entendre comme une petite sœur de Color Coordinate(s), une pièce que j’ai écrite en 2008, et dans laquelle j’explore le concept de miroirs rythmiques.
Après un passage de transition dans une temporalité plus « lisse », la dernière section s’attache principalement aux cycles rythmiques et temporels. À la manière d’un canon, un même matériau évolue à des vitesses variables – et parfois à des hauteurs variables, des intervalles microtonaux se glissant dans les accords des différents instruments. À force d’accumulation, le tissu musical explose dans une conclusion qui s’apparenterait à une orchestration fictive du Rhythmicon de Henry Cowell, cette machine conçue par Leon Theremin et destinée à concrétiser les théories de Cowell sur l’unification des ratios harmoniques et rythmiques.
Anthony Cheung, propos recueillis parJérémie Szpirglas.