Dans les Courants de l'Espace, on trouve la généralisation d'une écriture fondée sur l'analogie avec les phénomènes acoustiques ou les manipulations électroniques. Mais ici, l'analogie (la musique qui est écrite pour l'orchestre) est confrontée à son modèle : ondes Martenot couplées à un système de transformations électroniques. On entend en effet rarement dans la pièce le son habituel des ondes Martenot. Le plus souvent, le son de l'onde est transformé par la modulation en anneau d'un synthétiseur (qui fournit des fréquences de modulation variables), et l'on obtient ainsi des sons complexes, mi-timbres, mi-harmonies. Ces sons, analysés ou calculés, sont synthétisés aussi par l'orchestre qui dialogue ainsi avec le soliste électronique - comme dans un concerto classique, orchestre et soliste s'emparent tour à tour du même thème. Le son de l'onde est aussi transformé par « phasing », par amplification du haut-parleur métallique, par filtrage commandé par l'intensité, par modulation avec du bruit blanc, par adjonction d'écho... A chaque transformation correspond une structure d'orchestre équivalente. La complexité des sons émis par le soliste, et leur puissance, font qu'en fait ce sont deux orchestres, deux masses d'égale importance qui se répondent, déterminant ainsi un espace sonore à double polarité, un espace en perpétuel mouvement, agité de flux, de transformations lentes ou rapides, de « courants ». Le titre de la pièce renvoie aussi, volontairement, à Ethers pour six instruments, car les deux partitions ont en commun certains éléments et certains processus.
Tristan Murail.